La Seine-Saint-Denis occupe le tronçon Nord-Est de la petite ceinture; ce territoire est depuis sa création un lieu d’oppositions. Depuis plusieurs décennies, cette zone géographique a été sujette à des fabulations et stéréotypes, et a surtout créé une multitude de fantasmes.
Elle accueille depuis le début du XX ème siècle, les migrants des provinces Françaises et de pays étrangers pour répondre aux besoins de mains-oeuvres du développement industriel. Dès la fin du 19ème siècle, ce territoire est surnommé « La zone ».
L’ ADN même du 93 est celui du prolétaire, de l’ouvrier, celui de la masse. Depuis plusieurs générations maintenant, ce poids sociétal a pris d’autres formes, de la haine au mépris, la nouvelle génération issue ces quartiers n’est pas dupe, elle occupe le devant de la scène.
Background
Ce département, aux dynamiques inégalement réparties, souffre de nombreux maux. La proportion de diplômés est inférieure à la moyenne nationale, les économies souterraines dominent de nombreuses zones et la guerre des gangs est plus que jamais réelle. On sent néanmoins un nouveau souffle avec le projet du Grand Paris : ligne 11, 12, 14, lignes 15, 16, 17 desserviront l’ensemble du département. L’accessibilité réduite à la capitale mais aussi aux banlieues proches était une des raisons majeures de l’enclavement du département. À Clichy-Sous-Bois, aucun RER ni bus ne permet de rejoindre Paris ou sa proche banlieue.
Ses grandes barres d’immeubles insalubres si emblématiques reflètent parfaitement la place qu’occupe la banlieue nord- est dans notre société. Depuis 2015, une « opération de re-qualification des copropriétés dégradées, d’intérêt national » a été mise en place, concernant toutefois une minorité de logements.
Pourtant si excentrée, la banlieue Nord Est n’a cessé de faire parler d’elle.
Le rappeur Médine l’a dit « La banlieue influence Paname, Paname influence le monde ». Le 93 est le berceau des révolutions, car il souffre. Tout le monde se rappelle des émeutes de 2005, elles ont commencé à Montfermeil suite à la mort de deux adolescents : Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés alors qu’ils cherchaient à échapper à un contrôle de police. Cet événement a boulversé la France entière et l’état d’urgence a été instauré pendant trois mois suite aux émeutes et à l’ampleur des dégâts matériels; voitures brulées, gymnases dévastés. La violence est souvent engendrée par le manque de moyen de communications.
Vivier de créations
La banlieue a souvent été sur le devant de la scène. De nombreux films ont eu pour objectif de témoigner de la situation presque fantasmée de l’organisation des cités.
Quelques films, pour ne citer qu’eux, investissent ces lieux pour à la fois dénoncer et présenter au monde ce qui se passe à seulement quelques kilomètres de la ville lumière.
En 1995, sort le film La Haine de Mathieu Kassovitz, le titre n’est pas laissé au hasard. Il met en scène la jeunesse malmenée et submergée par un sentiment de révolte. Ce film culte présente l’écosystème des cités et ses enjeux vitaux.
En 2000, le film La Squale, met l’accent sur la guerre des gangs et le traffic de drogue qui hiérarchise tous les habitants.
Le dernier en date, et qui n’est pas des moindres est Les Misérables, sorti en 2019 de Ladj Ly. Le film a été récompensé en remportant le prix du jury au Festival de Cannes et représentait la France aux Oscars quelques temps plus tard. Ladj Ly fait partie du collectif Kourtrajmé et pour son premier long-métrage il s’est inspiré d’une bavure policière qu’il a filmé il y a 10 ans.
« J’en ai marre qu’on raconte nos histoires à notre place. Ça commence vraiment à me gaver donc il y a un moment où il faut prendre une caméra, un stylo pour écrire nos histoires, se former. D’où l’idée de créer cette école de cinéma. Ça faisait sens qu’elle soit là, sur ce territoire. On part du principe qu’il faut prendre la parole mais pour ça, il faut apprendre à s’exprimer, à réaliser, à écrire des scénarios, à monter, … On va prendre des jeunes, qu’ils soient issus des quartiers ou pas, et on va les former. On va leur donner des clés pour qu’ils s’expriment à leur tour. » a-t-il confié lors d’une interview pour Allociné.
Le film est tourné au Chêne Pointu, cité où vivait Bouna Traoré l’un des deux adolescents morts en 2005.
Le cinéma n’est pas le seul moyen d’expression dans nos banlieues. La Seine Saint-Denis est notamment une terre fertile pour nos rappeurs français. Depuis des générations, le rap raconte l’histoires des cités sans oublier que « La Seine Saint Denis c’est d’la bombe bébé! », clamait Joey Starr.
En 2016, le rappeur Sofiane décident de regrouper tous les rappeurs de Saine Saint Denis pour créer le « 93 Empire » qui compte près de 40 artistes dont 12 très connus tels que Suprême NTM, Kaaris, Vald, Mac Tyler, Dadju, Vegedream, Soolking, Heuss l’Enfoiré et Hornet La Frappe.
« Le 93 est grandiosement célèbre et tristement célèbre. On essaye de se rassembler pour le meilleur. On a essayé d’attirer tous ces talents, de se mélanger et d’en faire un disque : partager notre vision à chacun du 93. Vald n’a pas vécu le 93 comme moi, et je ne l’ai pas vécu comme Bruno [Kool Shen]. Le défi, c’était les egos et la sensibilité artistique de chacun », raconte Sofiane aux journalistes de BFM.
L’artiste de street art JR qui possède la plus grande galerie d’art au monde, s’est rendu à Clichy sous Bois accompagné par des danseuses étoiles pour retracer d’une manière plus poétique l’histoire de la mutation du quartier des Bosquets. Cette rencontre improbable de danseuses classiques évoluant au milieu de barres d’immeubles est une chance, une opportunité à saisir. Si au premier abord on se dit qu’il s’agit des personnes habitant ce lieu qui ont de la chance, chance de voir peut être pour la première fois de leur vie un ballet en live, on peut aussi facilement imaginer le renouveau que cet art pourrait amorcer en alliant d’autres lieux, d’autres publics, en s’inscrivant dans le monde moderne. La banlieue ne fait pas que recevoir, elle est aussi capable de donner énormément.
De nombreuses associations et médias militent pour raconter « le quotidien de celles et ceux que l’on n’entend pas ou dont la parole est déformée, stigmatisée, minoritaire », parole du Bondy blog qui a été élu « Blog politique 2009 » par le magazine Stratégies.
Toutes ces impulsions sont la preuve que cette zone excentrée de la capitale prépare la révèle, leur relève. Sa population n’accepte plus sa condition d’oubliée, d’assistée. Victime de l’éclairage négatif des médias, un courant plus structuré, plus créatif et dynamique se prépare. La parole se diffuse et chacun assume ses ambitions, et elles sont fortes !
Tout le 93 ne se réduit pas à ces zones, de nombreuses communes paisibles y subsistent depuis toujours mais elles sont tout autant délaissées. Cette génération brille par son esprit et se débarrasse petit à petit du poids familial et historique.
L’avenir s’écrira avec eux ou ne sera pas.