“Ils ont voulu nous tuer, je suis comme Highlander.” Keroué à tout du rappeur immortel. Rappelez-vous, en 2012, au milieu des cadavres de Heineken, le rappeur posait le premier couplet des freestyles Grünt désormais iconiques. 11 années plus tard, le voilà sur le “Grünt 57” revendiquant avec insolence le caractère indélébile de son rap.
Le temps ne semble pas laisser d’empreinte sur sa carrière tant sa longévité impressionne. Plus de 10 ans après ses débuts via son aventure collective avec Fixpen Sill, Keroué à signé son retour en solo. Après avoir livré une première occurrence réussie (Eckhmül), Keroué offre un second EP intitulé Candela et il était l’heure de faire le point avec une interview.
Tu as eu de bons retours sur tes deux projets solos. Quel est le point de départ de ce nouvel élan et comment es-tu parvenu à l’initier ?
J’en avais envie depuis longtemps. Après pas mal d’années en groupe, ça me trottait dans la tête. Je sais que ça n’a jamais motivé Vidji, mon binôme dans Fixpen, alors que je reste persuadé qu’en solo il mettrait des gifles à tout le monde. De mon côté, ça faisait un moment que je lui en parlait. Au départ c’était de l’ordre de la rigolade. Mais lorsque notre tournée à été annulée à cause de l’épidémie de Covid, on s’est retrouvé confinés chacun de notre côté. Je me suis dis « allez c’est le moment. » Sans le concerter, j’ai commencé à composer et avoir des morceaux en stock. D’ailleurs, sur nos anciens projets Fixpen, il y avait toujours un track solo par projet. J’avais envie d’approfondir cette démarche.
Honnêtement, je suis reparti de zéro. L’un de mes défis était de faire accepter ce nouveau chemin à “mon public de groupe”. J’ai donc imaginé deux parties, sans forcément que ce soit une suite, ou une réédition. A cette période j’ai fait la rencontre de Delho. On a passé énormément de temps ensemble et résultat il produit presque à lui seul les deux EPs. Au fil du temps, notre processus de travail s’est affiné et j’ai senti une réelle progression de mes performances.
Lors de la sortie, même si je n’avais pas de réel objectif en terme de chiffres, je voulais mesurer l’intérêt du public. J’avoue que si la sortie d’Eckmühl n’avait pas pas plus aux gens je me serais remis en question. Au final, les chiffres étaiennt plus qu’encourageants donc naturellement je décide d’enchaîner rapidement avec Candela.
Il y a des parcours d’artistes qui t’ont inspiré, notamment concernant la sortie d’EPs successifs comme tu l’as fait ?
Je pense à Limsa. Il a repris du service il y a deux, trois ans et voir qu’il est parvenu à solidifier une fan base évidemment ça motive. D’autant plus que nous sommes du même cercle et de la même génération. Je me suis dis que ce n’était peut être pas fini. J’aurais pu être à la fin de ma carrière de groupe et me demander si j’étais toujours à ma place. Mais voir que le public me porte et fait confiance à mon rap c’est encourageant. Comme quoi, il n’y a jamais vraiment de fin. Il y a toujours des moyens de te réapproprier ta musique, même après des années.
Le processus de création d’Eckmühl était issu d’une promenade au bord de mer, près d’un phare du même nom lors de ton confinement en Bretagne. Quel à été celui de Candela ?
Ce second EP est différent du premier car j’ai disposé de moins de temps pour le réaliser. Sur Eckmühl, j’avais carte blanche. Tout était nouveau. Lors du confinement, j’ai pris le temps de faire des maquettes et d’enregistrer beaucoup de sons, bien plus que les 10 tracks qui ont été partagés sur les plateformes. Il y a donc pas mal de morceaux que je n’ai pas gardés, ou d’autres que j’en pris le temps de retravailler.
Au contraire du premier projet, la composition de Candela s’est faite beaucoup plus rapidement. Lorsque j’ai vu qu’il y avait une attente de la part du public, je me suis dis qu’il fallait embrayer directement avec un second projet. À peine Eckmühl sorti en juillet, j’ai bouclé Candela pour début décembre. En cinq mois, j’ai choisi les prods, les feats, et enregistré les morceaux. Tout est allé beaucoup plus vite et ça retranscrit bien l’atmosphère instantanée du projet.
L’’idée c’est de laisser l’auditeur s’emparer de l’objet pour qu’il y voit ce qu’il souhaite.
Sur ta page Instagram, tu disais laisser la libre interprétation au public concernant la cover de Candela. Que représente t-elle pour toi ?
Pour moi ce sont des visages. Sur Eckmühl, bien que ce soit abstrait, il y a une croix sur le côté qui représente un nez et un œil. Les deux covers représentent deux autoportraits, dans deux styles toutefois éloignés, à des périodes différentes. Si on regarde la cover de Candela, le visage se dévoile lorsqu’on l’a regarde à l’envers. Mais ça concerne ma sensibilité, donc les visages restent assez durs à saisir au premier coup d’œil. Je suis le seul à le capter. L’’idée c’est de laisser l’auditeur s’emparer de l’objet pour qu’il y voit ce qu’il souhaite.
Le dessin en tant qu’art ça représente quelque chose de particulier pour toi ?
J’apprécie vraiment cette idée de double objet avec une continuité graphique. Je dévoile un nouvel atout et ça permet d’affirmer ma personnalité. A présent j’assume tout à 100%. Auparavant en groupe j’étais à 50%, peut être même moins car c’est Vidji qui faisait les prods, les mixs, les masters. J’avais le sentiment d’écrire mes couplets et donc d’être cantonné souvent au même rôle. Alors évidemment trouver et développer des idées, créer les cheminements de nos albums on le faisait à deux. Mais pour le reste je remettais trop souvent les clés à Vidji. Cette fois, j’étais à 100% impliqué dans la construction musicale des EPs. Idem pour la partie graphique. Raegular m’a bien aidé en réalisant l’objet et l’ensemble du code graphique, mais les pochettes viennent de moi. J’ai adoré vivre la création de A à Z. J’avais envie de défendre cette nouvelle casquette d’artiste complet auprès de mon public.
Sur Candela tu laisses une grande place à tes doutes, à l’obscurité, alors que le titre est en rapport direct avec la lumière. Pourquoi ?
Sur mon post Instagram lors de la sortie du projet je disais que “Candela, c’est pour cette lumière que j’essaye de faire brûler au quotidien”. J’ai tous les jours en tête mon combat contre l’obscurité, les idées noires, le cafard. Le fait d’écrire et de réaliser Candela, c’est une lueur d’espoir et de lutte contre cette noirceur. Je me dois de le retranscrire dans ma musique.
Arrivent ensuite des sous-thèmes, comme celui de la solitude sur “J’y vais tout seul”. Pourquoi avoir autant mis en avant ce sujet ?
Quand j’écris, j’ai l’impression d’avoir besoin d’aller chercher la solitude. En revanche, je suis très rarement seul le reste du temps. Je suis constamment accompagné de mes potes, de ma copine. C’est rare que je passe une journée sans voir personne. Pour réfléchir et écrire mes projets, je m’isole. Je pars en Bretagne, je vais faire mon petit tour. Je lâche tout ce que j’ai accumulé auparavant et pendant une semaine je fais état des choses. Dans ces moments-là, je ressens de la mélancolie et c’est ce qui ressort dans cet EP. Être seul c’est un bon moteur, j’en ai besoin pour créer.
Sur “Cette shit” tu dépeins une vie loin d’être saine. C’est du storytelling ou une réalité ?
C’est vrai que le refrain est un peu deep, mais c’est dit d’une manière mélodieuse. L’aspect hit du refrain offre au morceau une dualité intéressante entre tristesse et joie. Je noircis le trait lorsque je dis que je n’ai pas la vie saine. C’est faux en soi. Je dirais plutôt que j’ai un idéal de réussite, cette envie d’en avoir toujours plus. Un peu comme si le succès effacerait le fait que j’ai une vie de couche-tard, dans laquelle je ne me nourris pas très bien. Mais en soit ce n’est qu’une projection. Je ne suis pas certain qu’avec plus de reconnaissance et d’argent, j’aurais une vie plus saine.
Je ne conscientise pas vraiment ce que j’écris. Non pas que je dise n’importe quoi, mais je ne me rends pas bien compte des thèmes récurrents dans mes projets. Peut-être un peu plus sur Candela, parce que je partage mon état mélancolique et j’en suis conscient. En fait, les thèmes je vois ça comme des jauges. J’essaye de faire et des morceaux qui sont égo-trip, d’autres qui sont plus tristes. Cette réflexion duale se retrouve dans la construction de mon projet. J’ai repris des éléments qui, comme pour Eckmühl, sont visibles sur Candela. Par exemple, le dernier morceau c’est un drumless sans beat. On écoute seulement ma voix sur une nappe planante, un peu comme j’avais fait sur le premier EP lors du morceau avec Caballero. Sur l’intro, je voulais de nouveau un morceau rentre dedans. Il y a une bonne concordance sur cet aspect entre “Conte de fées” et “Lumen”. Le côté égotrip de “Lance flamme” trouve son équivalent avec “Pablo”. Ces trois constantes constituent la feuille de route de mes deux projets. Ensuite ça oscille.
On a l’impression que tu aimes te laisser aller à la divagation, à la contemplation. T’es un rêveur ?
Il y a forcément de ça. J’ai besoin de me mettre dans une certaine ambiance pour écrire, laisser libre court à mes interprétations. J’essaye en tout cas de m’autoriser à rêver et d’être le moins cynique possible. Je fais en sorte de toujours être optimiste. Quand je parlais de lumière, c’est de ça que je veux parler. Il faut pas que je perde ce truc. Donc oui, je continue de rêver, ça me permet d’accomplir beaucoup de chose. En tout cas, il y a deux ans et demi, quand j’étais au point 0 de ma carrière solo, j’ai évidemment rêvé de ce que j’accompli actuellement.
Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir une place enviable, mais j’ai bossé pour ça et effectivement, je me considère comme méritant.
Sur “Lance-flamme” de Eckhmül, tu parlais de mérite. Pour être satisfait de ta musique tu as besoin de te sentir méritant ?
Ça fait partie du discours de notre groupe à l’époque. Fixpen fait partie de cette génération qui a eu besoin de charbonner pour se faire une place sur la scène rap. Avec Vidji on a dû enchaîner les projets et les concerts avant d’obtenir notre statut d’intermittence. On a attendu très longtemps avant de signer chez une major. Il nous a fallu beaucoup d’années d’existence pour fidéliser un public et faire des chiffres convenables. Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir une place enviable, mais j’ai bossé pour ça et effectivement, je me considère comme méritant.
Tu es un artiste apprécié et respecté chez les rappeurs. Sur cet EP tu es en featuring avec NeS, l’un des artistes qui symbolise la Next Gen. Comment s’est passé la connexion ?
NeS a fait ses études dans le son à la base. L’année dernière, il a effectué un stage de 3 mois au studio Winslow, le nouveau studio de la 75e Session dans le 20e. Pendant cette période, on s’est croisé régulièrement. Lors d’une session studio, il m’invite à une séance d’écoute de son projet La Course. Après avoir écouté le projet, je me suis mis à checker un peu son entourage. On a plusieurs influences en commun et son équipe a du respect pour ce que j’ai fait auparavant et ce que je continue de faire. La proposition de feat est venue naturellement. J’étais persuadé que ça allait fonctionner.
Je savais aussi à ce moment que Limsa était chaud pour feater. Immédiatement, je me rends compte qu’il y a un pont générationnel intéressant à réaliser. Puis, ça fait écho aux deux featurings d’Eckmühl (Caballero et Wallace Cleaver) et je tenais à faire un second projet avec la même recette d’invités.
Tu t’es entouré de Delho pour ces deux EP. C’est un beatmaker qui n’a pas encore de références en France. T’avais besoin de t’entourer d’un « inconnu » pour insuffler une nouvelle dynamique ?
C’est un gars que j’ai rencontré quand j’étais parti enregistrer mes premières maquettes en Bretagne. Il vient de Lorient et moi de Quimper, et lorsqu’il bossait avec un artiste qui s’appelle Diez, nos cabines de studio étaient en réalité côte à côte. Un jour il toque et me dit qu’il a deux trois prods de disponibles. Dans le pack que j’écoute, j’en garde quelques unes. Une semaine après j’enregistrais déjà dessus. Il m’a ensuite proposé de m’enregistrer et de faire quelques séminaires d’une semaine. On a rapidement trouvé une alchimie, et je sais que c’est quelqu’un sur qui je vais compter pour la suite. Il m’a donné un vrai élan sur ces deux projets. Il est jeune et il n’a pas encore énormément placé mais je sais que c’est un gars qui va aller loin.
T’as pu avoir peur du temps qui passe, de ne plus être dans le coup ?
Un peu. Je n’en suis plus à mes coups d’essai. Si j’étais au début de ma carrière, je dirais que non. Ce n’est pas forcément le temps qui passe que je crains car je suis en accord avec ce que je suis. Je suis entièrement satisfait de là où je vais. Mais oui il s’agit surtout de savoir si à un moment je ne suis plus dans le coup. Y’a quelque chose où dans le rap où si tu n’es plus vrai et que tu vieillis en racontant des choses qui ne te concerne plus, je trouve que ça commence à faire de la peine. J’aimerais si possible être honnête avec moi-même au moment voulu et savoir si je suis en train de merder ou non. Le temps qui passe n’est pas une inquiétude, mais je le prends en compte pour constamment me remettre en question afin de rester vrai et à ma place.
Tu dis dans cet EP « Je réalise le film de ma vie sans être passé par la Fémis”. La bobine du film n’est pas terminée ?
C’est l’image de ma vie. C’est absolument pas une pique envers la Fémis [rires]. Je ne sais pas tourner des images, en revanche je parviens à développer des images via mon écriture. Mes textes c’est ma manière de créer mon film et de laisser ma trace.
Dans l’industrie du disque, l’album c’est un réel aboutissement pour un artiste. C’est un format qui te donne envie ?
Évidemment. Dire l’inverse serait mentir. Avec mon expérience Fixpen et les trois albums réalisés, je sais comment construire un long projet. Pendant la réalisation de ce double EP, je me suis rendu compte qu’il y avait des thématiques que j’aimais aborder et qu’à aucun moment, je n’ai eu l’impression de me répéter. J’ai encore des choses à dire. Rien n’est théorisé, mais il y a des chances qu’un format album arrive prochainement.
Interview réalisée par Louis Martin et Sasha Abgral.