Décrié au départ, le maillot de foot a connu un changement de paradigme des plus importants ces dernières années.
Nous sommes le 25 octobre 2020, en pleine crise sanitaire l’affiche du jour en Série A (1ère division italienne de football) oppose la Juventus à l’Hellas Verona. Si les hommes d’Andréa Pirlo loupent une occasion de remonter en tête du classement, la poignée de supporters présent dans le stade n’a pas pu louper le maillot très spécial porté par les Juventinis. Si nous avions déjà évoqué la collection Human Race de Pharell Williams, il est intéressant d’observer que le mariage entre le football et le design gagne du terrain. Autrefois dénigré par le milieu de la mode, ainsi que par l’imaginaire commun, le maillot de foot est sujet à une inversion des tendances, en devenant une pièce qui suscite l’engouement des designers, des stylistes et des maisons de coutures. Pour vous on décrypte le phénomène en détail tout de suite.
Une ascension paradoxale
De tout temps, le foot a été idéologiquement associé à la classe ouvrière, aux classes populaires. En effet la naissance de beaucoup de clubs de foot est lié aux rassemblements des ouvriers qui cherchait à se rassembler en dehors des heures de travail (Crystal Palace ou West Ham en Angleterre, le Rayo Vallecano en Angleterre ou encore le Red Star de Saint Ouen pour la France). Dénigré par les sphères de la mode, qui se voulaient élitistes d’un point de vue social, le maillot de foot est une pièce dont la simple présence dans une collection de haute couture aurait été impensable il y a encore quelques années. Cependant c’est lors de la présentation de la collection automne hiver 2020-2021 de Balenciaga, que la prestigieuse maison de couture espagnole a présenté 4 maillots de football. Allant de 650€ à 850€, la production de ces pièces peut paraître surprenante mais reflète en réalité une transformation psychologique et marketing que le football et la couture ont opérés à merveille.
De fait depuis quelques années le maillot de foot est sujet à une mise en avant de la part des plus grands créateurs, des maisons de coutures et des marques émergentes. Nike est pionnier dans sa volonté de mixer la mode et le sportswear, en arrachant un contrat d’équipementier avec l’Équipe de France en 2011. C’est sous la direction artistique du défunt Karl Lagerfeld qu’est placé la campagne médiatique du nouveau maillot des bleus, qui n’est autre qu’une marinière (qui vient faire écho au travail de Jean Paul Gaultier). L’ascension est longue, mais petit à petit le maillot de foot émerge dans les collections de prestigieuses marques orientées streetwear (Patta, Stussy, Kith, Supreme). Les designers s’intéressent à cette pièce pourtant décriée au départ, Virgil Abloh s’associe en 2017 à Melting Passes (association caritative visant à intégrer des mineurs isolés étrangers dans des sections foot) pour la bonne cause et décide de designer l’ensemble de l’équipement de l’équipe.
>> LIRE AUSSI | Nike : un nouveau maillot inspiré du Borussia Dortmund des années 90
À l’échelle européenne c’est Gosha Rubinscky qui se charge d’une collection Adidas Football à l’occasion du mondial 2018 organisé en Russie (dont il est natif). Cantonnés aux alentours des stades, les maillots de foot sont devenus un sujet de réflexion des grands noms de la mode, de Yamamoto à la maison Versace en passant par Pharell Williams, le maillot de foot a connu une ascension surprenante mais que l’on peut attribuer à la France.
Une stratégie marketing avant tout
Si l’on doit dater ce changement de paradigme, il faut remonter à 2011. L’année est marquée par le rachat du Paris Saint-Germain par un fond d’investissement qatari, le projet est séduisant à l’image de la ville de Paris, si les supporters sont séduits par le projet sportif, le projet global des Qataris ne se limite pas seulement à aller chercher la fameuse des ligues des champions.
En effet ce dernier s’inscrit dans une politique de soft power que les pays du Moyen-Orient tente de mettre en place à travers les clubs de football (les Émirats-Arabes Unis ont racheté Manchester City afin de rivaliser avec le concurrent économique qu’est le Qatar). L’idée du projet parisien consiste à transformer le Paris Saint-Germain en marque mondiale. La révolution commence par un changement de logo (qui divisera bon nombre de supporters). La suite est connue, des collaborations naîtront entre le club de la capitale et différentes marques de vêtements toutes plus prestigieuses les unes des autres (Colette, Koché, Bape pour ne citer qu’elles).
Voir cette publication sur Instagram
Le club parisien dans un premier temps s’entoure des personnalités ayant une portée marketing des plus importantes, ainsi on a pu apercevoir Kendall Jenner ou encore Beyoncé et Jay Z dans la corbeille du Parc des Princes. Dans un second temps le projet sportif va profiter du projet marketing, avec l’arrivée de Neymar, qui au-delà de l’aspect sportif va permettre au PSG d’asseoir une domination marketing mondiale en devenant l’un des clubs à vendre le plus de maillot à l’échelle mondiale. Le Graal est atteint lorsqu’en 2018 une collaboration qui s’étale sur 3 ans est signée entre le PSG et Jordan. L’entente entre les deux puissances marketing, donnera naissance à des gammes de produits « lifestyle » qui rencontreront un franc succès et ce même en dehors de la sphère supporters avec Travis Scott arborant un maillot PSG x Jordan, comme incarnation de la réussite du projet marketing parisien.
Le Paris Saint-Germain représente une des parties prenantes de la transformation sociale et marketing du maillot de foot, le club de la capitale a détruit l’ancrage psychologique et social en allant chercher des publics qui jusqu’ici étaient exogènes au milieu footballistique et en abolissant d’une certaine manière la connotation sportive du maillot.
Et les supporters dans tout ça ?
Si le supporter est considéré comme l’une des parties prenantes les plus importantes dans le club de foot, le statut de ce dernier a lui aussi changé de dimension, indissociablement du club auquel il est rattaché. Assurément, les barrières psychologiques surmontées, la différenciation entre le supporter d’un club et une personne attirée par la mode est de plus en plus dure. Si les nouveaux maillots de foot connaissent des franc-succès commerciaux, une frange des supporters n’est pas encore prête à accepter le bouleversement psychologique et marketing de leurs clubs, bien que ces derniers soient bien souvent les premiers commanditaires de ce changement.
Ainsi lorsque His Airness alias Michael Jordan, répondait présent dans les tribunes du Parc des Princes à l’occasion d’un PSG/Reims, certains supporters ont tous simplement déployé une banderole où l’on pouvait lire « c’est un maillot de foot ou de basket ? ». Si la banderole peut faire rire, elle est le reflet du rejet de l’emprise du marketing sur l’âme du club. Enfin, la démocratisation du maillot de foot dans nos dressings donne naissance à de nombreux concepts et à de belles idées, ne visant pas exclusivement un public « footeux » à l’image de Vêtements de Football (une initiative du magazine NSS) qui a offert plusieurs franchises de maillot mixant équipe de foot et attributs des maisons de luxe
1 commenter
[…] Sport […]