Pierre Cardin, grand nom de la couture française, pionnier du look futuriste, homme d’affaire dont le curriculum vitae s’étale sur une dizaine de pages, s’est éteint mardi 29 décembre dernier.
À son bras, posait Rita Hayworth, Cocteau, Jean Paul II, pour ne citer qu’eux. À ses décorations, s’amoncellent trophées et honneurs. Il est académicien, commandeur de la Légion d’Honneur, détenteur de Trois Dés d’Or (décernés par la Chambre de la Haute Couture Française)… Pierre Cardin avait la stature d’un homme d’affaire, le parcours de celui qui mélange sa passion et ses loisirs. Son travail a fait rayonner la France à l’étranger pendant des décennies. Trente Trois Degrés vous brosse son portrait.

Pierre Cardin & ses 3 Dés d’Or
La construction de l’empire Pierre Cardin
Né Pietro Cardi en 1922 en Italie, dans la province de Venise, il est le dernier d’une famille d’agriculteurs, ruinée par la Grande Guerre. C’est ainsi que le jeune Pierre Cardin se voit émigrer, à l’âge de 2 ans seulement, afin d’échapper au régime fasciste instauré par Mussolini et à la pauvreté qui ronge l’Italie.
C’est à St. Etienne que sa famille pose ses valises et que le jeune homme démarre, à 14 ans, un apprentissage chez un tailleur de la région. Dès lors, il ne doute pas qu’un jour, ses efforts porteront fruit, déjà déterminé à briller dans le monde de la mode.
À la fin de la guerre, le jeune Pierre Cardin décide de tenter sa chance à Paris. D’abord chez Jeanne Paquin puis chez Schiaparelli. Il y fait ses preuves à tel point qu’en 1946, il travaillera chez Dior.
Parallèlement, le jeune prodige rencontre Jean Cocteau et Jean Bérard, respectivement poète/dramaturge et peintre/scénographe. Rencontre qui lui ouvrira les portes du monde des costumes de scène, puisqu’il réalisera grâce à eux les masques et costumes du film La Belle et la Bête.
Le jeune créateur est motivé, plus que jamais, et décide d’ouvrir sa maison en 1950. Ainsi, il peut présenter 3 ans plus tard sa propre collection. Le succès est indéniable, adoubé par la critique, sa carrière est lancée.
Mais la véritable consécration est en 1954, quand ses robes bulles font un tabac. Grâce à son imagination difficilement imitable, ses créations modernes et futuristes et son avant-gardisme (il fut un des premiers à faire défiler des hommes), il a su s’imposer comme grand nom de la haute couture.
Un self-made man Bleu Blanc Rouge
Haute couture oui, mais pas seulement ! Bon nombre de licenses lui permettent de poser son nom sur plus de 700 objets (parfums, sacs, eau minérale, cigarettes…). Bien avant Gucci ou Dior, il offre une nouvelle vision de la mode : la mode comme un art de vivre. Ainsi, il s’impose comme un mastodonte de la culture française, un monument inébranlable. En 2019, il confiait être « difficilement remplaçable. Je suis à la fois président, directeur financier, chef du personnel, designer, couturier, modéliste ».
Pierre Cardin ne s’arrête plus : il voyage au Japon où il rencontre Hiroko Matsumoto (qui deviendra son égérie), lance une collection de prêt-à-porter qu’il présentera en 1959 au Printemps… Amoureux des arts, il créé l’espace Pierre Cardin en 1970, où se produisent des artistes puis acquiert le château du marquis de Sade, qu’il rénove afin d’y organiser un festival d’art lyrique.
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En 70 ans de carrière, Pierre Cardin a reçu toutes les distinctions et décoration possibles. Dé d’Or de la Haute Couture Française (3 fois), membre de la Chambre syndicale de la couture, titre de commandeur de la Légion d’Honneur, de Commandeur de l’Ordre national du Mérite et Chevalier des Arts et Lettres.
Enfin, en 1992, il devient membre de l’Académie des Beaux-Arts, devenant ainsi le premier couturier à être adoubé. Et comme si ça ne suffisait pas, Pierre Cardin est également ambassadeur honoraire de l’Unesco ! De plus, grâce à une fortune qui se compte en centaines de millions d’euros, le couturier fait partie des personnalités les plus riches de France.
La mode de demain
Mais cet empire s’est construit grâce à un univers unique et toujours fidèle à la vision moderne du créateur. La femme Cardin porte une jupe cerceau, un col cheminée et cuissardes en vinyles. Les vêtements qu’elles portent sont plus qu’une créations, ce sont des formes, des sculptures, parfois des sphères aux matériaux inédits. Plastique, caoutchouc ou vinyle sont les matériaux chéris du créateur qui aimait dire « «Les vêtements que je préfère sont ceux que j’invente pour le monde de demain. »
L’homme qui touche à tout
En plus de sa marque au rayonnement international, le couturier nous laisse son palais Bulles, une demeure atypique construite comme une grappe de bulles organique. Construite en 1984 par Antti Lovag à Théoule-sur-mer, la villa est tout de suite rachetée par Pierre Cardin, séduit par sa sensualité et la couleur ocre de celle-ci.
En 2008, le couturier choisit de mettre son Palais Bulles à l’honneur, en y organisant un défilé pour la Fashion Week parisienne. Et ce n’est pas le seul ! Dior a également choisi cet endroit emblématique pour y présenter sa collection croisière en 2015. Enfin, la villa est également prise d’assaut par des artistes tels qu’SCH, qui y tourne son clip Haut Standing.
Du côté de sa vie privée, Pierre Cardin n’a jamais caché son amour pour les hommes. Néanmoins, il a vécu une véritable idylle aux côtés de Jeanne Moreau. Sans enfant, à son plus grand regret, “La maison continue sous la conduite de son neveu Rodrigo Basilicati Cardin pour mener de nouveaux projets, tout en respectant l’héritage mode de son talentueux fondateur” rapporte la famille.
Enterré près de son compagnon et associé André Olivier au cimetière de Montmartre, Pierre Cardin a été inhumé en habits d’académicien et accompagné de l’épée qu’il avait dessinée.

Pierre Cardin & Jeanne Moreau
Pierre Cardin laisse derrière lui l’héritage pour lequel il a travaillé toute sa vie. Créateur futuriste mais pas seulement, génie entrepreneurial qui touche à tout mais pas que, amateur d’art et bien plus encore, Pierre Cardin était un trésor national vivant, un homme dont la vie ressemble à un roman, le génie d’hier qui pensait à demain.