À travers son amour pour le hip-hop, Loubet tombe de façon innocente dans la photographie. Son quotidien est désormais rythmé par sa passion où créativité et détermination sont la clé pour nous faire voyager à travers l’univers de nombreux artistes.
Âgé de 23 ans, Loubet est natif de Mérignac, près de Bordeaux. Pratiquant depuis quatre ans la photographie, il nous confie sa vision, ses expériences ainsi que ses diverses inspirations.
D’où vient cette passion pour la photographie et pourquoi avoir décidé d’en faire ton métier ?
J’ai fait des études qui n’avaient rien à voir avec ça, c’est arrivé vraiment par hasard dans ma vie, sur une story assez drôle d’ailleurs. De base, on m’avait proposé une place gratuite pour un festival mais il fallait faire des photos en échange, du coup je me suis chauffé alors que je savais pas vraiment faire de photo.
J’ai loué un appareil photo au service audiovisuel de mon école, un truc bidon, j’ai été au festival faire des photos et je me suis dit que ça me plaisait grave. Après j’ai fait un stage, je me suis acheté mon appareil photo et là c’était parti. Et maintenant ça fait vraiment un an et demi que je fais ça à titre professionnel et que j’en vis.
Ce qui m’a plu là-dedans c’était que justement j’ai eu une approche hyper spontanée et innocente. J’y ai été vraiment parce que ça me faisait kiffer, c’était aussi une façon de passer plus de temps dans les concerts de rap et je me suis dit « c’est cool parce que je peux trouver une place là-dedans » . Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que ça avait de l’impact et de l’influence sur l’idée que pouvait se faire les gens des artistes. À ma façon je pouvais projeter mon regard dans la représentation des artistes, et j’ai trouvé ça super fort.
Quels sont tes secteurs de prédilection ?
Pour moi c’est vraiment le hip-hop en tout cas aujourd’hui, même si avec le temps je me suis renseigné sur la photographie, son histoire et les grandes figures pour voir ce qui pouvait me plaire et m’inspirer là-dedans. Et ça m’a poussé à élargir mon champ de vision, si vraiment la photo c’est ma vie ça ne sera pas que le hip-hop, ça sera d’autres choses. J’ai grave de la sensibilité pour la photo documentaire, l’actualité, la mode, la pub aussi je trouve ça lourd. Mais pour le moment c’est le hip-hop et j’ai encore pleins de choses à faire là-dedans.
Dans la mesure où j’essaye à mon échelle de m’édifier comme artiste et de faire mon chemin, c’est hyper important pour moi de garder l’ouverture sur d’autres trucs. C’est difficile de ne pas s’enfermer dans quelque chose, d’autant plus avec le fonctionnement des réseaux sociaux, et d’Instagram plus particulièrement, les gens te suivent pour quelque chose et attendent que tu partages des contenus en lien avec ça et t’as vite tendance à t’enfermer et donner ce qu’on attend de toi. Et si tu cèdes à ça c’est l’enfermement, t’arrêtes d’être un artiste je pense à partir du moment où t’acceptes de dépendre de ça.
Sur quel type de jobs tu peux être amené à être sollicité ?
Je shoot pas mal de concerts et c’est ça qui m’a mis dedans mais aujourd’hui je me suis diversifié il y a les tournages de clips, les covers, les dossiers de presse, les sessions en studio. C’est tout un tas de trucs où les artistes peuvent dire « viens faire des photos puis on voit » ou alors prendre le lead et je prends de plus en plus de plaisir là-dessus, à construire une direction artistique. Ça m’ouvre grave et en tant que photographe t’as beaucoup plus de contrôle, tu es force de proposition et tu peux poser ta patte.
Mais le chemin est encore long en la matière, arrive un moment où je pense que t’as besoin de travailler ces choses-là pour donner du relief à tes images, pour leur donner du sens. Tu peux avoir une retouche bien à toi, sans direction artistique ça me semble difficile de ne pas tourner en rond.
Est-ce que tu as une ligne de conduite que tu tiens à garder ?
Forcément qu’il y a une partie où je me dis « qu’est-ce que j’ai envie de donner ? Vers quel type de photographie j’ai envie d’aller ? ». Si je devais caractériser ma démarche par rapport à ça, je dirais que c’est un truc très vibrant, très teinté. J’essaie d’avoir des images assez suggérées aussi des fois.
Typiquement en concert j’aime bien donner des angles qu’on ne voit pas forcément, montrer les moments de latence où on voit plus l’humain qui fait le concert plutôt que le rappeur qui est sur scène. Au début justement c’était tout dans le feeling et dans l’instant et je vois avec un peu de recul qu’il y a des similitudes dans tout ça, que mon œil s’est construit à force de faire des photos. Aujourd’hui c’est cet aspect suggéré, teinté, assez léché et précis dans les images qui revient beaucoup.
Est-ce que tu fais de la retouche ? C’est important pour toi ?
Ouais grave, je retouche beaucoup mes photos, je passe beaucoup de temps à les éditer, j’aime ça. Je travaille tout seul là-dessus, et j’ai passé beaucoup de temps à développer ça parce que pour moi c’est une façon aussi pour les photographes de marquer leur singularité. Quand tu vas shooter un concert, il y a beaucoup de monde, beaucoup d’énergie, ça passe en un quart de seconde, c’est hyper intense et après je vais bosser une nuit tout seul face à mes photos dans le noir et c’est la faille temporelle tu vois, je me mets du son et je peux passer des heures et des heures devant.
Est-ce que tu te souviens de ton premier appareil photo et les premières photos que tu as prises ?
Avec l’argent d’un stage j’ai acheté mon premier appareil photo à 350 € avec un objectif qui m’a coûté 90 € et dis-toi avec ça j’ai fait des photos qui sont apparues dans le journal « Le Monde », l’appareil photo le plus rentable ! Je reçois grave souvent sur Instagram des messages pour me demander avec quoi je shoot et je réponds toujours avec plaisir, mais il y a un truc que tous les photographes disent et je suis grave d’accord avec ça c’est « en vrai, le matos on s’en fout. » Du moment que t’as un truc qui fait des photos et toi t’as la vision et le sujet qui t’intéresse, dans le fond whatever works, tant que toi t’es chaud.
Et mes premières photos c’est celles que j’ai prises durant le festival où je suis allé shoot parce que je voulais juste kiffer gratos, je les ai retouchées dans l’appli photo sur Mac, c’était miteux.
Tu penses que la diversité d’un photographe est une force ? Quelle est ta manière de te démarquer ?
Je suis convaincu que la diversité de sujets d’un photographe c’est une force. Mais il y a toute une vague de photographes par exemple dans le hip-hop, qui sont super inspirants artistiquement, et qui mènent un travail au long cours sur dix, quinze voire vingt ans pour Fifou et c’est incroyable.
On pourrait croire que c’est pas forcément divers parce que c’est que le hip-hop mais quand tu t’intéresses à la démarche tu vois à quel point c’est varié et à quel point ça a évolué. Il y a une nouvelle génération d’artistes qui arrive avec toute une nouvelle imagerie qui va avec eux et ça c’est super lourd. Le hip-hop a énormément changé je pense sur ce laps de temps, donc si toi en tant que photographe tu ne te renouvelles pas je pense que c’est chaud de durer.
C’est aussi en changeant de sujet et en se mettant en difficulté que tu vas réussir à capter la singularité de ta vision, à trouver le dénominateur commun dans tout ça et pourquoi c’est toi malgré tout. J’ai fait beaucoup de photos au Maroc et en Tunisie et en faisant ces photos il y avait une émotion similaire à celle que j’essaye de capter quand je suis en concert avec un rappeur. Je ne saurai pas encore mettre de mots dessus mais pour moi il y a une similitude dans tout ça.
As-tu des influences, des personnes qui t’inspirent ?
Forcément ! Si je dois citer trois références je dirais Quentin De Briey qui a fait des photos de skateurs, des trucs dans la mode, des photos de voyages… incroyable, exceptionnel. Après, Richie Igunma il a une vision intéressante du set design c’est un truc qui m’a transcendé. Et en dernier je dirai Harry Gruyaert, photographe Magnum, qui a fait beaucoup de photos sur le Maroc il en a créé des tableaux exceptionnels, pour moi c’est une légende carrément.
Après il y a toute la nouvelle génération de photographes qui sont dans les mêmes délires que moi y’a Florian Waldmann, Owen Samba-Dhelot, Alexandre Carel, tous ces mecs qui sont trop trop forts. Et ça fait plaisir car on se rencontre au fur et à mesure, on se donne de la force sur les réseaux et c’est des vrais humains. Pour moi c’est des aventures extrêmement solitaires et quand tu rencontres des personnes qui vivent la même chose on n’a pas besoin de se dire grand-chose on se sait, on est dans le même bateau.
Quel événement et quel artiste ont été les plus marquants pour toi ?
Professionnellement le truc qui m’a fait le plus avancer c’était le fait d’avoir bossé avec Rema en juin, c’est une autre façon de travailler car c’est un artiste international et t’es au charbon, c’est vraiment une étape forte pour moi. Force aux personnes qui ont rendu ça possible d’ailleurs, elles se reconnaîtront.
Artistiquement le plus stimulant franchement je dirais que c’est Ashh Kid. C’est celui avec qui j’ai le plus shooté, qui m’a le plus poussé dans mes retranchements et on échange grave. On peut ne pas se calculer pendant trois plombes et ensuite tous les jours se renvoyer des trucs et c’est celui avec qui j’ai les échanges les plus riches, je dirai qu’on se complète bien. C’est quelqu’un de très ambitieux dans ce qu’il fait, là où moi je suis plus pragmatique ce qui me permet de trouver un équilibre.
Est-ce qu’il y a une personne et un endroit en particulier que tu rêves de photographier ?
Une personne je dirais Don Toliver c’est mon goal ces derniers temps. Je suis archi fan de sa musique, l’imagerie est trop intéressante je veux absolument travailler là-dessus c’est trop ma sensibilité.
Un lieu je dirai le Moyen-Orient ça m’intéresse beaucoup. J’ai beaucoup photographié l’Afrique du Nord avec le Maroc et la Tunisie et j’adorerai aller en Iran ou au Liban faire des photos.
Quels conseils tu donnerais à quelqu’un qui veut se lancer dans la photographie ?
Fais les trucs pour toi, personne ne t’attend. Il faut conserver la passion à tout prix, n’ai pas peur d’imposer tes exigences et fais-le pour toi. Il faut se connaître et il faut savoir ce que tu veux donner et y’a que en faisant des photos que t’apprend ça. Crois en ce process là, fais des photos, quitte à mal le faire, quitte à se tromper, juste il faut y aller et faire les choses.
Je pense que le pire truc c’est d’être dans une posture de « j’ai pas encore eu les opportunités, j’ai pas encore eu les bonnes occasions pour m’exprimer » on s’en fout, chaque occasion est bonne à prendre. Et j’ai un bon ami qui bosse dans la musique aussi qui me dit souvent « Show up and do the job » juste pointe toi et fais ton truc. Bosse tes photos, partage-les, prends les retours et fais toi plaisir car personne ne t’attend.
Comment te décrirais-tu à travers ton travail ?
Je me suis découvert une sensibilité. Je pensais pas que je pouvais être autant sensible aux gens, être aussi attentif à ce qu’il se passait autour de moi, être autant dans le moment. Faire de la photo ça implique une présence et une acuité dont tu ne te rends pas forcément compte et ça m’a fait découvrir ça de moi. Tu dois forcément avoir ce truc de comprendre l’autre car y’a un moment où avec l’artiste vous vous mettez d’accord pour « faire ensemble » et ça implique d’aller vers l’autre, même un instant.
Quel a été ton moment à 33° ?
J’ai été appelé en février dernier pour faire des photos de la signature d’Iman, un compo, avec Sony et The Vie et Damso a aimé les photos. Suite à ça, Ritchie (manager de Damso) m’a écrit pour que je vienne faire des photos lors de l’apparition de Damso au Bercy d’Orelsan.
Damso c’est un artiste qui m’inspire de fou et que j’écoute depuis longtemps donc pour moi c’était vraiment un truc cool. L’enjeu c’était de photographier Damso qui avait un tee-shirt avec dessus la date de son Bercy à lui. J’avais même pas trois minutes pour faire ça car Damso il monte il fait son couplet et il ressort, et il fallait une photo où on voyait un minimum le tee-shirt et la date. Étonnamment ça s’est bien passé, j’ai réussi à faire calme plat dans ma tête et à me focus, je savais que je pouvais pas me permettre de rater ça. Je fais les photos, je remonte dans la loge, je mets les photos sur mon ordi, Damso regarde et il me dit « c’est elle », c’était assez intense. Merci à eux pour l’opportunité.
Un petit mot de la fin ?
J’envoie plein de force à celles et ceux qui veulent se lancer là-dedans, qui veulent grandir en tant qu’artiste et celles et ceux qui s’engagent dans ce long chemin chaotique. Et si y’a des gens à qui ça donne envie à la lecture de cette interview, je peux que leur souhaiter de connaître ces satisfactions-là.
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