Il y des albums que l’on peut prévoir dans leur degré d’addiction, dans leurs punchlines, dans leurs productions. Tout cela pour le meilleur, comme pour le pire. La première option correspond quand même bien au nouvel album de Pusha T, entièrement produit par Ye et Pharrell Williams.
On prend les mêmes et on recommence, Pusha T a sorti It’s Almost Dry, son nouvel album produit par Ye et Pharrell Williams. Toujours dans la finesse, Pusha Thanos n’a eu besoin que d’une photo de Lana Del Rey pour ainsi dire, dire les termes. Ne voyez pas le diss partout, même si c’est ô combien compliqué avec cet artiste. Vous ne vous souvenez pas de « The Story of Adidon »? Sûrement le PTSD, c’est totalement normal. Certains en tremblent encore.
Enfin bref, Pusha T s’était expliqué à Rolling Stones concernant cet annonce/image de Lana Del Rey digne des comptes Tumblr les plus originaux du monde, donc les plus classiques. Il parlait notamment de sa proximité artistique avec la chanteuse : « Musicalement, je pense que Lana Del Rey aborde le même sujet, mais à des extrémités différentes, on peut entendre des vestiges d’abus de drogues et de dépendance. Alors je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Je trouvais ça logique.«
La cocaïne, comme une amie qui ne part jamais…
Il s’agit ici de parler de rien de bon, afin d’en faire quelque chose de bon. Par là, on parle de bonne musique. Même à 44 ans, et un enfant de deux ans, cette ennemie suit le travail de Pusha T. Dommage dans un sens, car des textes plus lumineux sur cette nouvelle vie, celle de papa, auraient été bienvenus. Mais dans l’autre sens, quoi de plus personnel et profond qu’un passé et présent passés le nez dans la coke. Le cocaïne rap est dans le sang de Pusha T depuis ses débuts, lui-même considéré avec son frère Malice dans le duo The Clipse comme le porte-étendard de ce mouvement malsain. Non sans faire quelque chose de consistant lyriquement, il faut le souligner, mais Pusha garde la même ligne directrice.
« The crack era was such a black era » – Diet Coke
Les références à la pétasse blanche sont éparpillées partout dans les textes de l’album, comme si le rappeur avait toussé sur une ligne. Vous trouverez des traces de talc sur tous les morceaux dans le disque. Rien que le morceau promotionnel Diet Coke ne laissait absolument pas de place au doute, tant il est accrocheur -et constituerait une belle définition de la farine interdite en elle même- : « You ordered Diet Coke, that’s a joke, right?« .
Cette fameuse citation moqueuse concernant la mauvaise cocaïne selon Pusha T aura fait les beaux jours du rollout de l’album. On peux y voir un double sens, une figure de style également utilisée sur le calme « Just So You Remember » : « Just so you remember who you dealing with / The number don’t change, I know who the chemist is / Brick by brick, we kept open dealerships« .
Le Joker est un rappeur
En parallèle de ces doubles-sens, le rappeur adopte également une personnalité de double-face. Il aime jouer des rôles et se fondre dans des univers de science fiction, aussi sordides soient-ils. Sur un visage las presque inanimé, un grand sourire se tend. Comme Cocaine’s Dr. Seuss sur « Let The Smokers Shine The Coupes », ou tout simplement le Joker de Gotham.
Ce n’est pas seulement sur le teaser de l’album que T se prend pour le personnage. Ce cas de figure concerne toujours le même morceau : « My Jokеr smile, you know who the villain is (Hahahahaha!) / Just so you remеmber who you dealin’ with« . Ça commence à se comprendre, Pusha T est un méchant quand il s’agit de rapper. Cette dimension très glauque l’est d’autant plus quand il s’explique à propos de sa mise en condition lors des sessions d’enregistrement pour Complex : « What happened was, we would mute [Le film Joker, ndlr], and we’d be playing the music or the beat while it’s muted. You could see the motion and we’d be like, ‘Oh, that’s a marriage right there.«
Une production dans la continuité
Sur It’s Almost Dry, quand ça ne parle pas de vie de dealer et de consommateur, tout est à propos d’égo-trip. Sur « Neck & Wrist » notamment, qui, rien que par son nom donne un avant-goût du niveau de vie de Terrence, Jay-Z et Pharrell Williams. King Push nous y rappelle des flows semblables à un 50 Cent en mode Window Shopper, pas étonnant. Après avoir produit la majorité de la discographie des Clipse, Pharrell Williams et Chad Hugo n’avaient pas participé au travail solitaire de Pusha. L’apport de Pharrell ne se limite pas un à morceau, et fait un retour chaleureux des plus complet dans la musique du natif du Bronx. Il produit en réalité plus de la moitié du 12 titres. Une longévité remarquable pour l’artiste qui reste fidèle à son style vocal, lyrique et musical. Il ouvre le spectacle avec l’électronique et personnel « Brambleton », en exécutant une opposition directe avec l’urgent « Let The Smokers Shine The Coupe », qui irait bien à une scène de combat chaotique. Un peu du genre « bataille des batards » dans GOT, right?
Le premier, bien que plus modeste par rapport au reste de l’album, est très intéressant quand on s’y approche un peu plus. C’est une réponse à Anthony « Geezy » Gonzalez, l’ancien manager de Clipse qui a purgé une peine de huit ans pour avoir dirigé un réseau de drogue de 20 millions de dollars à Virginia Beach. Le même qui, dans une interview sur VladTV en 2020, a déclaré que « 95 % » des textes de Clipse concernaient sa propre vie. Aussi dure que soit l’interview de Gonzalez, la réplique de Pusha est mesurée, voire humble : « You would pay 16, I would pay 18« .
De l’autre côté de la production, on retrouve Ye, qui revient avec quelque chose de moins trempé dans l’eau bénite sur le plan sonore. L’orgasme musical atteint vite son point culminant avec la néo-balade « Dreamin of The Past », dans laquelle Ye sample la reprise de « Jealous Guy » de John Lennon par Donny Hathaway. Les travaux se valent, et les empreintes entre les deux chefs d’orchestre de l’album sont remarquablement marquées. À tel point que la reconnaissance du beatmaker est exécutée d’une facilité déconcertante avec un minimum de connaissances. L’humain peut parfois aller plus vite que Shazam, c’est vrai.
La recette instrumentale reste la même que sur Daytona. Les beats auraient gagné à être plus riches, malgré leur maitrise dans les boucles et les samples. À vrai dire, le nouveau Joker ne manque pas de précision non plus, et son niveau de flow et de rimes est toujours bon. Avec la sortie de « Hear Me Clearly », morceau partagé avec le dernier disque de Nigo, Pusha annonçait que Pharrell l’avait aidé à ne plus paraître comme un simple « mixtape rapper », en l’aidant.
Une moitié d’album plus tard, un petit bout de chemin reste à faire quand même. Le rappeur gagnerait lui-même beaucoup à s’essayer sur des musiques plus consistantes, quitte à se séparer quelques instants de ses deux amis de très longue date. Le fera-t-il un jour? Ça, c’est une autre histoire, un autre album. À dans moins de quatre ans, on l’espère.