Cette année, on la sentait venir comme celle qui nous ferait oublier 2020. Arrivé fin février, c’était déjà impossible. Et pour cause, malgré quatre ans et demi d’absence sur les ondes, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo se séparent après 28 ans de Daft Punk. Une séparation intervenant 8 ans après un dernier disque.
Retour sur deux carrières si singulières, et importantes de la musique au sein d’une époque dans laquelle, quand le monde entier porte un masque, eux l’enlèvent.
Darlin’
Thomas et Guy-Man se rencontrent à la fin des années 80, alors collégiens dans un établissement du XVIIème arrondissement parisien. Mais, comme toute belle aventure, la gloire passe après les déboires. Leur amour commun pour la musique provoque l’envie de créer un groupe afin de déjà produire la leur. Ce qui abouti à la rencontre d’un certain Laurent Brancowitz. Guitariste, celui que l’on appelle « Branco » les rejoindra grâce à une annonce à Danceteria, un magasin de disques à quelques pas de la place de la Contrescarpe.
Formé en 1992 et puisant ses influences dans le punk, le rock noisy ainsi que la pop, Darlin’, dont le nom est une référence aux Beach Boys, réaliseront un seul et unique disque composé de deux titres : Cindy, so loud et Darlin. Le disque sera distribué par le label Duophonic, de chez Stereolab. Mais loin encore d’imaginer la future hâte autour de chacune de leurs sorties, le groupe fera un flop, le projet sortant dans une indifférence totale.
« The two Darlin’ Tracks are a daft punky trash » – Dave Jennings
Les morceaux parviendront cependant à arriver jusqu’aux oreilles de Dave Jennings, journaliste musical pour Melody Maker, via une compilation Shimmies in Super 8 de Duophonic, par manque de chance… ou pas. Au milieu d’une chronique destructrice, le journaliste démontera sans scrupule le travail des trois adolescents : « The two Darlin’ Tracks are a daft punky trash called « Cindy, So Loud » (that’s the title and the sole lyrics), and a bizarre fuzz-guitar of The Beach Boys’ « Darlin' » ».
Branco quitte Thomas et Guy-Man pour rejoindre Phoenix. Le destin aura donc indirectement baptisé le duo, non pas à cause, mais grâce à une violente critique, ou en d’autres termes, l’un des plus beaux exemples de destruction créatrice de l’ère musicale moderne.
Une autre dimension : les 90s
Nés des cendres de Darlin’, les désormais Daft Punk vont dès 1993, s’appuyer sur la techno de Detroit et la house de Chicago, toutes deux venues se frayer leur chemin jusqu’à la capitale à travers la culture rave, afin de créer leur propre son. Cette culture venue d’Angleterre marquera les prestations du groupe dans la ville lumière, notamment une fameuse rave party non-loin de Disneyland Paris, où ils rencontreront Soma Records, un label écossais qui distribueront leurs premiers maxis, à savoir The New Wave et Da Funk/Rollin’ & Scratchin’. Après Jean-Michel Jarre ou encore Cerrone, la French Touch a un avenir d’autant plus beau devant elle.
Le succès grandit alors de plus en plus pour les adolescents devenus jeunes adultes. Ils croiseront en 1995 la route d’un certain Pedro Winter, alors organisateur de soirées parisiennes, notamment au club Palace situé rue du Faubourg Montmartre. Ce dernier, maintenant directeur du label Ed Banger Records et parrain notable de la scène électro française, deviendra leur manager de cette année, jusqu’en 2009. Une signature chez Virgin Records s’ensuivra un an plus tard, avec une ambition forte de conquérir le public international. Mais Daft Punk revendique avant tout son indépendance, un contrôle total sur sa musique, et une volonté de ne se cantonner à aucun code.
Ce business de la musique, le duo prodige, désormais connu dans plusieurs pays l’a bien compris et très vite, bien que créant simplement sa musique avec son Roland TR-909 dans une chambre. Mais, amusé par cette constatation, Thomas Bangalter l’expliquera en 1996 à Loïc Prigent : « On a reçu des fax du Danemark, de Suède, d’Espagne, du Japon, de New York. Alors qu’on a vendu 15 000 disques. […] On peut vraiment atteindre en faisant des trucs dans sa chambre. Atteindre des gens à l’autre bout de la terre« . Et puis en 1997, sort Homework.
Les Daft Punk produisent un son, leur son, et redéfinissent la techno dans un véritable condensé de samples étonnement bien maîtrisés. Thomas et Guy-Man réussissent à rassembler un vaste auditoire, touché soit par des morceaux plus grand-public comme » Around the World » et sa boucle répétitive et entraînante, soit par des sonorités plus underground comme avec « Rollin’ & Scratchin' », ou par les deux. En bref, leur style trouve un public et ne laisse personne indifférent. En témoignent le carton immédiat de l’album et les 2 millions de copies vendues en deux mois dans le monde entier.
Le lien fort avec l’audiovisuel créant le mythe
L’autre passion des deux artistes, qui colle parfaitement et va de pair avec la musique, c’est le cinéma. Depuis toujours, les Daft imposent leur univers avec une manière propre à eux, en contre courant de ce qui se fait autre part. En effet, dans leurs premiers clips, à l’époque Homework, ni Thomas, ni Guy-Man ne montreront leurs visages, et créeront un univers visuel très particulier. Leurs clips seront magnifiquement bien réalisés, aidés par des petits génies réalisateurs comme par exemple Spike Jonze (Her et Dans la peau de John Malkovich) pour « Da Funk« . IDEM pour « Around the World« , clip réalisé par l’excellent Michel Gondry (Eternal Sunshine of the Spotless Mind).
L’univers de Discovery (2001) se voudra très différent, car comme son nom l’indique, l’album s’ouvrira à de nouveaux horizons disco, pour un mélange aux textures colorées et moins brutes. Le duo fera appel à Leiji Matsumoto en 2003 afin de créer un film d’animation unique, Interstella 5555: The Story of the Secret Star System, comprenant les clips de l’album. Ce disque fera encore un carton monumental, notamment grâce à ses titres « One More Time » ou encore « Harder Better Faster Stronger« , et confirmera la place de Daft Punk à une échelle planétaire.
Des clips bien réalisés donc, et qui proposent un contraste remarquable entre les deux univers, à savoir l’audiovisuel et la musique. Chacun possède un thème inédit, que personne ne pourrait prédire. Alors, les deux amis vont commencer à jouer la carte du mystère, tout simplement en se masquant à chaque apparition. Pedro Winter expliquera souvent qu’il se retrouvait à fouiller dans les magasins de farces et attrapes, afin de trouver des masques pour leurs interviews.
Des humains après tout…
L’idée était de faire passer la musique avant tout, et était notamment due à une introversion des deux artistes, d’ailleurs bien illustrée en 2014 par Mia Hansen-Løve dans Eden, long-métrage sur l’avènement de l’électro française. Le duo va se servir de leur plus grande influence cinématographique afin de pousser cette idée encore plus loin : Phantom of the Paradise (1974). Une décision qui va définitivement changer leur carrière. Ce film, signé Brian de Palma, met en scène Winslow, son personnage principal, ce dernier étant casqué. Thomas et Guy-Man deviennent des robots en amont de la sortie de leur deuxième album Discovery.
Cette décision de devenir des robots, n’en est pas vraiment une. Enfin… Thomas, expliquera lui-même cet accident : « Nous n’avons pas choisi de devenir des robots. Il y a eu un accident dans notre studio. Nous travaillions sur notre échantillonneur et à exactement 9h09 le 9 septembre 1999, il a explosé. Quand on a repris conscience, nous avons découvert que nous étions devenus des robots« . Un accident donc, afin de nourrir le mythe. Et ce mythe, Daft Punk s’en amuse puisqu’en parallèle de la hype autour de la transformation, se cache une vérité tout autre.
Il s’agit d’un coup marketing bien léché, certes, mais qui permet de la meilleure des manières de garder les pieds sur terre. Un paradoxe entre la fiction et la réalité car finalement, quoi de plus humain pour ces artistes, que de garder leur anonymat ? Cette question sera l’un des points principaux de Daft Punk’s Electroma (2006), un film expérimental écrit et réalisé par les deux membres du groupe, une recherche de la moindre humanité dans un monde de robots. Le troisième album Human After All (2005), sorti avant, mais bien évidemment lié au film, marquera cependant le premier échec, le premier « bug » des deux robots.
Exploitant le paradoxe humain/robot, et sorti prématurément suite à des leaks, l’album décevra de manière générale. Peut-être est-il trop humain, la volonté du duo étant de concevoir un album dans la précipitation (enregistré en 6 semaines), comme une sorte de retour aux sources à l’époque Darlin’. Conscients des critiques mitigées, Daft Punk dira : « L’album Human After All parle pour lui-même« .
Une soif de nouvelles expériences perpétuelle
On le remarque bien, Daft Punk cherche à diversifier et renouveler ses expériences à chaque fois. De Homework et son bagage underground et rock’n’roll brut, à Discovery et son univers dansant plus universel par exemple. Ainsi que Human After All et sa précipitation remarquée, sans oublier des expériences cinématographiques, et un marketing de génie, le duo touche vraiment à tout. Trois ans après leur légendaire tournée mondiale Alive en 2007, Daft Punk réalise la bande originale de Tron : L’héritage, une première pour eux, mais dans un univers qui leur correspond parfaitement. La science-fiction à son paroxysme.
Grâce à toute l’expérience d’une carrière si riche, et étant devenu une institution de l’électro, Daft Punk se lance une toute dernière fois dans l’inconnu à travers un dernier album. Dans l’inconnu oui, car il s’agit en réalité de leur ultime, mais tout premier album studio. Délaissant l’électro pure fabriquée dans une chambre, au profit d’une oeuvre richement produite, aux références inédites, Thomas et Guy-Man s’entourent de la crème afin de créer son blockbuster Random Access Memories.
Porté par un « Get Lucky » avec Pharrell Williams et le légendaire guitariste de Chic, Nile Rodgers, les robots peuvent maintenant s’offrir les services de ceux qui ont bâti leurs influences. On y retrouve Giorgio Moroder, producteur de la musique du film Scarface (de Brian de Palma) dans un morceau à son nom, narrant ses expériences des années disco, mais encore Paul Williams, acteur et réalisateur de la musique originale de Phantom of the Paradise, dans « Touch ». Résultat : 4 Grammy Awards, dont l’album de l’année, et une prestation en compagnie de Stevie Wonder, Pharrell Williams et Nile Rodgers, qui aura droit à une standing ovation, de bien des légendes.
Épilogue…
Le 22 février 2021, sur la chaîne YouTube Daft Punk, sort cette extrait tiré de leur deuxième film n’annonçant rien d’autre que la séparation du groupe. Une fin redoutée, mais toujours surprenante, si l’on prend en compte les quelques rumeurs de retour en studio de la part du duo. Entre ce que l’on n’aurait jamais pensé être leur ultime album, et ce froid lundi d’hiver, Daft Punk n’a bien sûr pas chômé, mais produit de façon moins officielle, malgré un bref retour avec The Weeknd en 2016 pour deux titres. Ils auront notamment participé à 4 tracks de l’album Yeezus (2013) dont une production totale de « Black Skinhead« , mais encore au single « Overnight » (2017) du groupe australien Parcels, entre autres.
Peu le savent, mais dans leur carrière, chacun aura eu son propre label : Crydamoure de Guy-Man, et Roulé de Thomas à qui l’on doit « Music Sounds Better With You » de Stardust. En solo, Guy-Manuel aura côtoyé la chanson française notamment pour produire Sexuality de Sébastien Tellier en 2008, ou encore pour co-produire « Nightcall » de Kavinsky. Thomas se sera rapproché du cinéma en signant une BO entière pour Irréversible de Gaspard Noé, ainsi que « Sangria » pour Climax. Mention honorable pour « 113 fout la merde » avec un Thomas qui s’éclate sur du rap. À mettre absolument au volume 11. Merci DJ Mehdi.
Les réactions sont nombreuses, et les théories fusent directement après la sortie de la vidéo… L’incompréhension et l’interrogation sur une séparation intervenant 8 ans après un dernier disque est légitime, car une frustration générale est ressentie dans le monde de la musique. Mais c’est comme ça. Il y a 28 ans, deux robots sont arrivés sur terre, et ont décidé de communiquer avec nous de la plus humaine des manières : à travers l’art. Leur musique est à eux, et personne d’autre n’en a eu le contrôle durant toutes ces années. Alors, pourquoi s’attrister de leur séparation, si l’on constate leur mainmise totale durant l’entièreté de leur carrière ? Encore une fois, ce sont des humains après tout, et rien d’humain n’est éternel, si ce n’est l’art. Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo, Daft Punk, ont révolutionné tout un monde en créant ld leur et donc laisseront une trace qui, elle, est éternelle.
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