Le ciel est gris, la pluie battante, le vent claque sur les volets à demi-ouverts. En cette après-midi maussade du vendredi 31 mars, l’orage n’est pas loin. Comme si Bekar s’était décidé à agiter les éléments, le roubaisien de 25 ans vient de sortir son premier album intitulé Plus fort que l’orage.
La scène nordiste poursuit sa montée en puissance. L’axe Nord/Sud du rap français n’arrête pas sa route à Paris. En effet, depuis quelques années désormais, les rappeurs et rappeuses issus de la région des Hauts-de-France bousculent les codes. Un nouvel élan semblait en effet vital. Gradur a fait son temps et ZKR commençait à se sentir bien seul. C’est alors qu’arrivent STO, Ben PLG, Bekar et d’autres encore. Un vent de fraîcheur bienvenu et des artistes qui arrivent chacun avec leurs propositions. Une constante tout de même, une verve revancharde et des rappeurs convaincus de leur légitimité. Le Nord s’est enfin racamaillé avec le Rap.
« Plus fort que l’orage » mon 1er album est disponible!!!!! 🫶 jsuis comme un ouuuuuffff la mif c’est la consécration pour moi !!!!! https://t.co/mPWVGDTvRZ
— BE (@BekarNFR) March 30, 2023
Destination l’album
Que le chemin fût long. Pourtant très tôt, Bekar commençait à gratter ses premiers textes. Dès ses 15 ans, le gamin du Nord se met à peindre stylo en main sa vie d’adolescent. Toutefois, se voulant pragmatique, il se voit plutôt auteur de bandes dessinées. Conscient de la concurrence préexistante, Bekar ne se faisait pas de plan sur la comète. Et pourtant c’est le regard droit vers le ciel que la route de Bekar à commencé petit à petit à s’éclaircir. Un soir, à l’orée de sa vie d’adulte, le jeune homme se rend à un concert de Deen Burbigo.
Fait anecdotique diriez-vous. Et pourtant ce soir-là, la magie opère et la flamme cachée au coin du cœur de Bekar commence à frémir. Lorsque le rappeur de l’Entourage demande si parmi la foule un rappeur veut monter sur scène, le natif du 59 n’hésite pas. Une première occurrence qui marquera sa musique puisque qu’on y retrouve fréquemment la technique pure de certains emcee du collectif parisien.
C’est en 2019 que Bekar officialise sa présence sur la scène rap fr avec la sortie de son premier projet, Boréal. Une première pierre à un édifice qui prend du poids l’année suivante avec Briques rouges (2020). Aux côtés de Lucci, le nordiste continue d’élaborer une œuvre musicale authentique, marquée par l’odeur et l’histoire de son terroir. Le COVID passé, il passe un nouveau cap avec Mirasierra (2022). Encore une fois, Bekar parle de ses origines puisque le titre fait directement référence à son quartier natal de Madrid. Le regard droit vers les montagnes, voilà le rappeur déterminé à gravir le col le plus compliqué de sa jeune carrière. Après avoir sorti 3 projets aboutis, il lui fallait maintenant faire face à de nouvelles intempéries et affronter l’étape de l’album. Alors Bekar, Plus fort que l’orage ?
L’oracle s’est réalisé
L’album, un format toujours essentiel ? La new wave, très active ces derniers mois, tient en tout cas à lui rendre ses lettres de noblesse. Bekar aura donc attendu d’arriver à maturité pour sortir le projet qu’il a toujours souhaité. Plus fort que l’orage, car le roubaisien a su faire preuve de résilience pour sauter toutes les embûches d’un début de carrière. Plus fort que l’orage, car ce premier album dresse le portrait d’un jeune homme déterminé à réussir.
Le feu qui sommeillait en lui une fois révélé, nous voici plongés dans un projet avec du relief. Homogène sans être linéaire, Bekar parvient à transmettre cette énergie propre à la sortie d’un premier album. Sur les 16 titres certaines sonorités font d’ailleurs parfois penser au Nekfeu des débuts. Sans dresser un parallèle établi entre les deux rappeurs, des morceaux de textes (“Entre 4 murs”) font écho à la manière de poser de Nekfeu.
Bekar livre tout de même un album de son époque. Initiant son ascension sur “Triste”, il se laisse aller à quelques teintes électro, rappelant des artistes de la “Next Gen”, parmi lesquels STO (« Rappelle toi ») ou Rounhaa (« Music sounds better with you »).
S’attachant à livrer un “vrai album”, Bekar tisse au gré des morceaux un fil conducteur abouti. À la manière d’un orage qui se rapproche, l’album gagne au fur et à mesure en tension, jusqu’à l’explosion. Bekar vaincu par l’orage ? Au roubaisien alors de transmettre une nouvelle énergie. Soulagé, il semble avoir trouvé la paix. À la manière d’”Eric Koston”, le voici contemplant ses problèmes vu du ciel.
Passage à l’âge adulte
“Ce soir j’marchais seul tout près du square. Avec des pensées comme seul accessoire. Un jour tout va bien, lendemain tout s’éteint. Un jour tout est bleu, lendemain tout est noir.” (“Tout s’éteint”). Si Plus fort que l’orage livre un regard sur le parcours personnel entre Bekar et la musique, l’album marque par sa dimension universelle. Revanchard, Bekar y laisse s’exprimer ses doutes, des doutes. Car son regard sombre, peignant avec tristesse son quotidien du Nord, raconte ce que ressent une génération parfois peu ou pas écoutée.
C’est peut être pour cela qu’ils étaient si nombreux à s’amasser autour du pickup du rappeur lors de la tenue de concerts sauvages à Lille, Lyon ou Paris. Tel un exutoire, la musique de Bekar fait du bien. Parfois ultra détaillée, son écriture transmet un message d’espoir à une jeunesse parfois désenchantée.
Assumer ses doutes, pour mieux rêver et traverser l’orage.