Profitant du premier confinement pour lancer Validé, Canal + a gagné son pari, avec d’excellentes audiences et une deuxième saison actée. Hatik, lui, a vu ses chiffres de ventes et sa côte de popularité, exploser. Vague de fraîcheur sur les deux milieux que sont le rap et le petit écran ? En réalité pas du tout. Exploration d’une corrélation presque logique.
L’univers rap
Le rap est la musique la plus écoutée en France, les chiffres parlent d’eux même. Pourtant, avant Validé aucune série ne mettait en scène le milieu du rap. Paradoxal, quand on réalise à quel point l’univers des séries est abordé par les rappeurs.
Outre les grands films de gangster comme Scarface ou Les Affranchis, c’est The Wire, qui représente les séries au sein de l’univers rap. Les personnages comme Stringer Bell (sublimé par l’interprétation d’Idris Elba), Marlo Stanfield ou Omar sont régulièrement cités dans les différents textes. À l’image d’un Gradur, qui rend hommage à ces figures fictives de Baltimore, dans le titre Balti (surnom de Baltimore), de Booba dans Kalash, de Heuss L’enfoiré dans L’Enfoiré, plus récemment.
Si The Wire est autant cité, c’est sûrement pour le portrait qu’il peint. Le portrait d’une fracture sociale, où les pauvres sont livrés à eux même, avec comme seule issue, le deal. Le portrait n’est pas uniquement fait par The Wire. Car on peut ajouter Gomorra (cité par SCH ou PNL) et Narcos (cité fréquemment par Lacrim), comme série référence des poètes des temps modernes. Toutes, dépeignent une fracture sociale importante, un jeu du chat et de la souris permanent avec la police. Enfin, une romanisation, presque une glorification d’un personnage censé être détestable à cause de ses actes.
Si ses séries obtiennent un tel succès chez les rappeurs, c’est peut-être car l’univers qu’elles dressent, n’est en réalité pas si fictif. Un univers, quotidien, familier pour une partie de la France. Peu médiatisé, ce quotidien est régulièrement reflété dans les lyrics de rappeurs français. Les séries et personnages, accompagnés des textes rappés, permettent une identification. Plus qu’une identification, l’usage des séries permet de renforcer des titres, voir des projets un peu storytellés.
Des univers qui se croisent
Si les deux domaines semblent bien distincts, on réalise, qu’ils s’entrecroisent régulièrement. Dans un premier temps certains rappeurs ont réussi le pari de créer un personnage, un univers qui leur est propre.
L’exemple le plus parlant est peut-être SCH. Le rappeur d’Aubagne, a réussi à construire un personnage tout au long de ses clips et de ses textes. Inspiré des mafieux italiens et du banditisme marseillais, le rappeur use de ses clips et de ses textes pour enrichir cet univers si bien construit. Le tout pour livrer l’excellent JVLIVS, projet entièrement storytellé, contant l’histoire et le quotidien d’un mafieux. De l’intro jusqu’au dernier titre (Bénéfice), SCH livre un projet qui peut tout à fait être retranscrit sur le petit écran. Enjeu, très bien compris par le rappeur, car la sortie du projet ne s’est pas faite seule. Elle fût accompagnée par la parution d’un court métrage. Court métrage, intitulé JVLIVS Absolu Tome 1, dans lequel on retrouve le personnage de l’album.
Plus récemment c’est Laylow, avec Trinity, qui présente un excellent projet digne de l’univers du petit écran, voire même du grand. Retranscrivant un univers froid, sans pitié, ainsi que les émotions et les tourmentes d’un personnage central, le rappeur toulousain réussit un pari osé. De plus, la comparaison avec la cultissime trilogie Matrix, a vite été faite, le nom du projet étant éponyme à l’un des personnages les plus importants de la saga.
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Si les projets storytellés rencontrent un franc succès avec les fans, c’est également le cas des séries développées par des rappeurs. Si SCH avait développé son court métrage pour la sortie de JVLIVS, PNL nous ont lâché une mini-série. En effet, le duo des Tarterêts a sorti l’artillerie lourde en sortant une mini-série, composé de 4 parties. Dans chaque partie, se trouvait un morceau (Naha, Onizuka, Béné, Jusqu’au Dernier Gramme). Le tout pour faire la promotion de leur album Dans La Légende.
Cette stratégie de brand content, a été poussée jusqu’au bout, avec une interaction avec les fans très efficace. De fait, c’est le visage de Macha Django (acteur présent dans les épisodes de la mini-série), qui a été placardé dans les rues de Paris, sous la forme d’un avis de recherche. Ce même avis de recherche, avec un numéro de téléphone à composer, qui laissait entendre les premières notes du morceau Béné.
Pour continuer sur cette lancée, on peut également citer Lacrim. Pour cause, sa web-série Force et Honneur (loin d’être mauvaise), est venue accompagner la sortie de l’album éponyme.
Les rappeurs au petit écran
Pour finir, on peut parler des rappeurs et de leurs différentes apparitions dans les séries. En France, le précurseur se nomme Joey Starr. Avec le rôle de Moktar, dans la série Mafiosa, le compère de Kool Shen a fait une belle entrée en la matière. Nouveau statut pour le membre de NTM, qui élargit sa palette artistique avec différents rôles, mais sur le grand écran cette fois (une excellente prestation dans Polisse). Mafiosa a permis à Joey Starr de mettre un pied dans l’univers des séries, et c’est encore Canal+ qui permet à un autre rappeur d’y mettre également son pied. C’est dans Les Sauvages, que Sofiane, livre une prestation des plus convaincantes. Après quelques pas sur les planches de théâtre, où il interprétait Gatsby Le Magnifique ou encore Achille, le natif du 93 change de dimension. Assurément, il se révèle comme l’une des pièces maitresses de la série, avec un jeu d’acteur très intéressant pour un premier rôle.
L’émergence de rappeur français, en tant qu’acteur de série, peut présager du bon. Mais cela les anglais l’ont très bien compris. Avec Top-Boy, nos voisins Outre-Manche, offrent un casting composé de Kano (figure du rap anglais), Little Simz et Dave (excellent dans un rôle inattendu). Le tout, porté par Drake comme producteur et par une bande originale alléchante. De quoi inspirer la France ?