JAAFAR est disponible. Retour sur le nouvel album de Rounhaa qui suit le chemin d’une carrière mûrit et sincère. Le rappeur de Genève promet de vous surprendre, encore une fois.
Rounhaa, de son vrai nom Haroun, parvient à trouver sa place dans le rap francophone depuis maintenant quelques années. Parmi les rappeurs post-Covid, il est en effet l’un des noms ayant réussi à se démarquer. La sortie de son album MÖBIUS en 2022, résonne encore sur les ondes des plateformes. Et si l’artiste Suisse se fait discret sur les réseaux, l’extravagance maîtrisée de sa musique éveille une certaine curiosité à son égard.
« Depuis le début c’est pareil » -S.Y, Yeratik, 2019
Quelques oreilles averties avaient prévenues. Dès 2019, lors de la sortie de Yeratik sur SoundCloud, Rounhaa se constitue une première « fan base ». Le génevois rappe avec une allure déjà confiante, croyant en son art et son destin. Confiance et humilité constituent un diptyque à travers lequel Rounhaa évolue artistiquement, diffusant par sa musique des valeurs fortes qui très souvent, précèdent sa direction artistique.
« Je sais la valeur de ce que j’ai dans les mains » – Maman m’avait prévenu – Horion, 2020
L’artiste a toujours privilégié la bienveillance envers ses fans comme dans son entourage. Il évoque régulièrement sa famille et ses amis, comme s’ils semblaient indispensables à son processus créatif. Ce détail se traduira comme une force, qui le conduira jusqu’aujourd’hui, où sa musique semble toucher de plus en plus de personnes.
« Ma vie c’est ma famille, c’est pas l’argent ou les beaux vêtements » – GRIS TANGER – JAAFAR, 2024
JAAFAR comme messager
Le nouvel album de Rounhaa prend le nom de JAAFAR en référence au jeune Ja‘far compagnon et porte-parole du Prophète Muhammad dans l’islam. Jaafar devient un modèle pour les jeunes musulmans. Porté par un don d’éloquence, le jeune compagnon défend avec lui des valeurs d’honnêteté, de sincérité et de pureté de l’âme face au travers des ignorants enfermés dans la luxure. Il appelle à se détourner des actes infamants, ne pas porter de mensonges, à prier ou encore à verser l’aumône. Des valeurs partagées par ailleurs avec les autres religions.
Ainsi, JAAFAR se veut universel et cherche à rassembler. En accordant cette symbolique au titre de l’album, Rounhaa crée une œuvre globale, à la recherche du bon vouloir. Chacun est amené à écouter la musique selon son histoire et à en tirer ses propres faveurs. Sans aucune distinction. L’islam soutient que la musique peut détourner une personne de ses devoirs religieux. Pourtant, la musique de Rounhaa livre un message d’amour pour l’islam où le rappeur, partage le processus de sa foi en faisant référence à des événements religieux importants.
« J’suis le fils de ma mère, le frère de Moïse » – LE FRÈRE DE MOÏSE – JAAFAR, 2024
Ici Moïse, ou Moussa dans l’Islam, est le frère de Haroun. À l’écoute, l’auditeur comprend l’origine du prénom de Rounhaa et l’importance de l’approche religieuse qu’il décide de mener. L’artiste loue dieu, mais ne tombe pas dans les jugements de valeurs. Empreinte de simplicité, la musique de JAAFAR est celle d’un homme raisonnable qui souhaite soutenir son entourage, comme son auditoire.
Un album où l’amour raisonne
Dans l’exercice complexe qu’est la retranscription des sentiments, Rounhaa est sûrement l’un des plus doués en la matière. Par son aisance à l’écrit, il guide la narration de ses pulsations au rythme de la puissante mélancolie de sa musique. Alors que l’artiste évoque ses difficultés à faire parler son cœur dans sa vie personnelle, paradoxalement, tout semble plus simple en musique. À JAAFAR, une fois de plus, d’illustrer la parfaite maîtrise des silences, permettant au génevois d’impacter encore plus ses auditeurs.
« Quand je dis rien , c’est là où je suis honnête » – YASMEEN – JAAFAR, 2024
» YASMEEN » fait référence à sa petite sœur, qu’on entend d’ailleurs prendre la parole à deux reprises dans le morceau. Le prénom renvoie à celui de « JAAFAR » afin d’évoquer les personnages de fiction du célèbre dessin animé Aladin. La famille constitue d’ailleurs l’un des piliers de JAAFAR. S’il est parfois difficile pour Rounhaa de laisser transparaître l’amour qu’il éprouve pour les siens, il y parvient au prix d’efforts importants. Pour sa mère, dont le regard forge sa motivation à accomplir ses rêves.
L’amour sous sa forme la plus métaphysique se traduit par l’espoir porté aux autres. Les textes de Rounhaa sont bruts, uniquement pour être au plus près de la vérité. Rêveur et authentique, le Suisse fait de sa musique un catalyseur pour soi, où la personne enfouie au fond de nous-même est libre de s’exprimer.
Le jeu de l’image
Au-delà de l’approche sensible de l’album, on peut se demander quel est l’objectif de la direction artistique choisie par l’artiste, dans ses spécificités physiques et sonores. En effet, Rounhaa nous propose de découvrir JAAFAR avec une vision plutôt alternative. Notamment à l’aide d’une cover sombre qui garde un aspect mystérieux et imaginaire. Les chaînes évoquent l’énergie mécanique et électrique de l’album. Mais métaphoriquement, on peut aussi les comparer aux barrières artistiques et personnelles dont Rounhaa essayerait de se détacher.
Rounhaa décide de manier sa voix de manière originale en la saturant au maximum. Il lâche totalement prise sur certains morceaux composites, comme sur « 2B2T ». Rounhaa a su s’entourer d’artistes garants d’un mélange qui fonctionne, où mélancolie et musique électronique se mêlent sans barrières. « BRUTAL » en est sûrement la preuve la plus concrète, produit par BKH. Sur l’album, on retrouve aussi LUCASV et amne, mais aussi abel31 sur « Love Death Robots » le premier single du projet, clippé au Japon. Abdellah Akachour, Augustin Charnet, Gizmo7k, Aloïs Zandry, Abdemassad Boussahfa et Mhamed El Menjra complètent le casting tandis qu’aucun featuring ne figure sur l’album.
Hybride, Rounhaa poursuit sa route. C’est pas blanc, c’est pas noir, c’est très souvent gris.