Les deux artistes, qui travaillent ensemble depuis 2007, ont vu leur travaux exposés dans les musées du monde entier dont le mythique MoMA. Et leur préoccupation constante concerne la façon dont les communautés endurent les systèmes politiques oppressifs confortent leur créations soulignant une poétique de résistance déviante.
Les conditions d’exclusion et de brutalité comme outils pour créer des contre-récits
Basel Abbas et Ruanne Abou-Rahme vivent et travaillent entre Ramallah (Palestine) et New York. Au cours des années 2000, alors qu’ils étudient tous deux au Royaume-Uni, ils parviennent à se rencontrer et décident ainsi de collaborer. Le dernier projet en date – intitulé An echo buried deep deep down but calling still – rassemble les œuvres phares produites conjointement par les artistes depuis le début de leur collaboration. Cette exposition offre l’occasion de comprendre l’étendue de leur travail – comment il s’est développé au cours de la dernière décennie et demie à travers une gamme étendue de pratiques sonores, d’images, de textes, d’installations numériques et de performances.
Ils font partie de cette diaspora hantée par l’impossibilité de retourner définitivement dans une patrie. À deux, ils sondent un paysage contemporain frappé d’une crise perpétuelle et d’un « présent » sans fin, de plus en plus façonné par une politique du désir et du désastre. Les œuvres développées interrogent sur cette suspension du présent à partir de laquelle les artistes recherchent un imaginaire différent qui pourrait émerger. Les sentiments d’amnésie ou bien de déjà-vu sont donc explorés dans un processus déployant une dichotomie entre l’actualité et la fiction, ce qui est et ce qui pourrait être.
Des communautés fracturées résistant à leur propre effacement
May amnesia never kiss us on the mouth (2022)
Le titre Que l’amnésie ne nous embrasse jamais sur la bouche provient d’une traduction du « Manifeste Infraréaliste » de l’écrivain Roberto Bolaño écrit à Mexico en 1976. C’est un appel urgent à rester attentif à l’histoire face à l’effacement culturel.
Ici, Abbas et Abou-Rahme représentent littéralement l’écho à travers des vidéos où on voit des personnes issues de communautés de Palestine, d’Irak, de Syrie et du Yémen. L’écho – en tant que réverbération sonore à travers le temps/ retard qui crée une relation historique dans le présent – forme l’incarnation auditive de la dépossession, une métaphore des séquelles d’une histoire ou d’une terre qui persistent à se faire ressentir.
De fait, ces communautés déchirées par la violence, résistent à la disparition en favorisant un sentiment d’appartenance. Cette grande installation vidéo – réalisée avec la danseuse Rima Baransi et les musiciens Haykal, Julmud et Makimakkuk – établit des liens entre les récits de lutte et les rêves partagés de libération dans différents pays et contextes politiques.
« Nous sommes à la recherche d’une nouvelle langue, maintenant nous nous accrochons à toute forme de langue que nous pouvons trouver pour maintenir ces parties brisées ensemble (…) »
At those terrifying frontiers where the existence and disappearance of people fade into each other (2019)
Cette œuvre prend comme point de départ la Grande Marche du Retour qui a eu lieu dans la bande de Gaza en 2019. Des passages de texte tirés de After the Last Sky écrit par de l’intellectuel palestino-américain Edward Saïd y sont notamment exploités afin de réfléchir à ce que signifie être « illégal » : un corps illégal dans un territoire occupé, appartenant à un peuple dont certains ne veulent pas. Comment existe-t-on dans ce contexte ?
Le livre de Said affirme que plus les Palestiniens s’éloignent de leur propre passé, plus leur statut devient incertain. Ici, le texte est chanté par les artistes sous forme d’avatars couverts de cicatrices, d’imperfections et de caractéristiques incomplètes. En ne « réparant » pas ces blessures numériques, l’œuvre évoque non seulement la violence subie par les manifestants, mais aussi la violence de la représentation elle-même.
D’où notre besoin d’une nouvelle conscience à ces frontières terrifiantes où l’existence et la disparition des gens se fondent l’une dans l’autre -Edward Saïd, After the Last Sky, 1986
Oh shining star testify (2016-19)
Cette installation vidéo reprend des images d’une caméra de surveillance militaire israélienne, entremêlées avec les propres films d’Abbas et d’Abou-Rahme. Le 19 mars 2014, Yusef Al-Shawamreh, 14 ans, a traversé le mur de séparation israélien pour cueillir de l’akkoub, une plante comestible importante dans la cuisine palestinienne. Après avoir franchi la barrière israélienne en Cisjordanie, Al-Shawamreh est tombé dans une embuscade et a été abattu par les forces israéliennes. Une injonction légale a permis de diffuser les images de surveillance militaire, qui ont circulé pendant une courte période sur internet avant d’être retirées.
Oh shining star testify explore la manière dont les événements réels sont documentés mais tout aussi facilement retirés de la sphère publique lorsque ces derniers mécontentent l’opinion publique. L’œuvre comprend des extraits de vidéos et d’images montrant des fragments de bâtiments, de terres et de corps. L’œuvre alterne éternellement présence et absence : là où l’existence fondamentale elle-même est un prétexte à l’effacement, cet effacement même fonctionne comme preuve d’existence.
An echo buried deep deep down but calling still – exposition disponible en ligne.
2 commentaires
[…] la une Art : le duo palestinien Basel Abbas et Ruanne Abou-Rahme Zamdane : il organise un concert en faveur de SOS Méditerranée Sonny Rave : l’odyssée […]
[…] >> À LIRE AUSSI | Art : le duo palestinien Basel Abbas et Ruanne Abou-Rahme […]