Avec son nouvel E.P. NAMELESS BELLIGERANT produit en collaboration avec le beatmaker neophron, Femtogo réaffirme sa direction artistique ultra agressive en venant l’habiller d’une plus grande sensibilité que par le passé.
Si de plus en plus de rappeurs s’amusent avec les codes du mystère, il en est pour qui le désir d’obscurité dépasse de loin le cadre du jeu. Chez Femtogo, notamment, ce penchant pour l’énigme tend à frôler les frontières du mystique. Aux clips ou aux selfies sur les réseaux, l’artiste a toujours privilégié une iconographie sobre de combattant sans visage. Et en ayant réussi à conserver son identité absolument secrète depuis ses débuts sur SoundCloud en 2020, le membre-fondateur du collectif « Scarpackage » (aka SPK) a su entourer sa musique d’un halo ténébreux terriblement efficace.
Le retour du guerrier
Alors qu’on l’avait retrouvé cet été avec son alias baby hayabusa sur le très sentimental (et très pop) Deadly Poison Sting, voilà que Femto revient à ses fondamentaux avec une nouvelle mixtape venant exalter l’esprit de conquête qui brûle en lui. À travers ce titre hautement évocateur de « Nameless Belligerant », on ne peut s’empêcher de lire en sous-texte son désir de bouleverser une scène rap francophone de plus en plus lisse et impersonnelle.
À l’intérieur de ce projet, on retrouve 6 titres, tous produit par celui qui sait mieux que personne créer l’écosystème sonore propice à cette âme guerrière : le beatmaker neophron. C’est lui qu’on retrouvait à la composition de la dernière excellente tape de Femto : One Man Army. Un EP de 4 titres où déjà, le jeune artiste commençait à jongler entre exo- et ésotérisme, alternant d’incessants clins d’oeil au monde des jeux vidéos et des mangas avec des élucubrations philosophiques beaucoup plus égotiques. Un schéma bipolaire qu’on reconnaît sur ce nouveau projet même si on y ressent une tonalité probablement encore plus intimiste que par le passé. On y reviendra.
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Voyage entre clair et obscur
NAMELESS BELLIGERANT démarre sur le titre Nembutal qui semble annoncer d’entrée le ton du projet. Femtogo y déverse un déluge de punchlines abrasives avec pour toile de fond une instrumentale aux accents glitchcore. D’angoissantes lignes de basse et de synthé ultra saturées y monopolisent l’intégralité du spectre acoustique, absorbant tel un trou noir toutes velléités mélodiques.
Et pourtant, au fur et à mesure que l’on rentre dans ce projet, on est frappé par la volonté de l’artiste de ne pas s’enfermer dans cet univers extrêmement sombre pour proposer à la place quelque chose de beaucoup plus complexe. Le deuxième morceau de l’EP, Gaiseric, et sa sublime production mélancolique, en est le parfait exemple. À son écoute, on pénètre dans un paysage auroral où les mélodies de piano de neophron viennent fièrement illuminer le ciel nuageux dessiné par les lyrics de son collègue.
Le reste de la mixtape conserve cette ambivalence lumineuse avec un jeu de contraste permanent entre des instrumentales aux airs de B.O. de films contemplatifs et la rage incisive qui émane du flow et des textes de Femto. On pourrait à ce titre se permettre une mention spéciale au titre Scopolamine qui nous semble être le titre le plus puissant émotionnellement du projet. Un projet qui se termine en apothéose avec le morceau Rainy Day et son refrain déchirant dans lequel l’artiste embrasse sans complexe le choix du chant sur une prod aux folles inspirations punk-rock.
De l’émotion dans le combat
À travers ses paroles, ses références culturelles, son flow ou encore l’esthétique visuelle qui entoure ses créations, Femtogo se veut l’émissaire d’une musique éminemment conflictuelle. Une musique qu’il a d’ailleurs lui-même rebaptisée « Warfare Music ». Mais si elle accorde une place importante à la violence, elle n’est pas pour autant dénuée d’émotions. Et paradoxalement, sur NAMELESS BELLIGERANT, Femto semble entamer la déconstruction de sa figure mystique de combattant sans nom. Il y dévoile des aspects plus personnels de sa vie. Révèle certaines failles de sa personnalité et assume une vraie sensibilité qu’on ne lui aurait pas forcément reconnue jusqu’ici.
Mais surtout, au-delà des mots, c’est par sa musique elle-même que l’artiste réussit à transmettre des émotions comme peu y parviennent autour de lui. À la première écoute, elle peut paraître agressive, chaotique ou indéchiffrable. Mais à mesure que l’on y retourne, on est pris dans une atmosphère sonore omnisciente qui devient rapidement addictive tant on peine à lui trouver des équivalents. Grâce à des choix de prod toujours innovants et des textes qui laissent transparaître une grande intelligence, Femtogo parvient à créer quelque chose de spécial à chacun de ses morceaux. Sur chaque son, il construit des événements sonores ultra immersifs. Des instants acoustiques qui semblent complètement suspendus hors du temps. Comme s’il provenait d’une réalité alternative où le rap et ses codes s’étaient construits totalement autrement.
Aussi, s’il peut paraître difficile de comprendre la musique de Femtogo, il l’est probablement encore plus de la décrire avec des mots. Alors si ces quelques lignes parviennent à aiguiser votre curiosité autour de son travail, on ne peut que vous conseiller de vous y plonger et de vous y replonger. Jusqu’à, comme nous, y déceler une lueur au milieu de l’obscurité.