La mort de Mahsa Amini suivie des mystérieux empoisonnements visant de plus en plus les jeunes filles en Iran révèlent – une fois de plus – les injustices causées par les dirigeants et leur vision patriarcale des sociétés. Dans un tel système, les femmes se retrouvent à supporter le poids écrasant d’une violence sociale que Steffi Niederzoll traque dans son documentaire : Sept hivers à Téhéran.
La brutalité et la misogynie du régime iranien ne sont pas inédites au cinéma, et « Sept hivers à Téhéran » vient nous le rappeler. Les films de Shirin Neshat en sont des exemples, tout comme le thriller Yalda, la nuit du pardon (2019) de Massoud Bakhshi dans lequel le destin d’une condamnée à mort se joue sur un plateau de télé réalité iranien. Quant à lui, le documentaire de Niederzoll a tout d’une grande tragédie de cinéma, bien que sa mise en scène revendiquant les abîmes du régime l’inscrit plutôt dans la tradition des cinéastes d’opposition. Parmi eux, Mohammed Rasoulof ou bien Jafar Panahi connu pour This Is not a Film (2011) et Taxi Téhéran (2015). Les cinéastes iraniens se heurtent, en effet, à d’innombrables difficultés et la case prison en fait partie.
En l’occurrence, la réalisatrice a tourné ce film avec le soutien de la famille de Reyhaneh Jabbari – la mère et les sœurs vivent maintenant en exil allemand, le père sans autorisation de sortie toujours à Téhéran. Mais de gros risques ont été pris en dévoilant les images en partie secrètes de la famille, en partie prises secrètement actuellement en Iran.
L’histoire de Reyhaneh accuse le régime des mollahs insouciant de leur citoyens, et encourage les protestations actuelles afin de pouvoir renverser l’arbitraire à travers le monde. À l’occasion de la 73ème édition de la Berlinale, le film a remporté le prix du film pour la paix ainsi que le prix du meilleur film de la sélection Perspektive Deutsches Kino 2023.
Une histoire dévastatrice
À l’âge de 19 ans, Reyhaneh Jabbari est arrêtée puis emprisonnée en juillet 2007, retenue coupable du meurtre de son agresseur sexuel. S’ensuivent des protestations, des pétitions en ligne, des signalements impliquant les plus grands groupes de défense des droits de l’homme suivis par de nombreuses organisations internationales. Malgré ça les preuves de décharge sont réprimées, les avocats de la défense ne sont pas admis et les fausses déclarations sont extorquées. Cela s’explique notamment par le fait que la victime, Morteza Abdolali Sarbandi, était un ancien employé du ministère des Renseignements (le VEVAK), dont la réputation a été indignement protégé.
Le seul moyen pour elle d’échapper à la peine de mort était d’obtenir le pardon de la famille du défunt, en vertu d’un système judiciaire qui intègre la loi du talion, et accorde aux victimes, ou à leurs familles, un droit de regard sur la peine prononcée. Un pardon qui, dans l’affaire dépendait du retrait des accusions de viol. Tel n’a pas été le cas. Reyhaneh s’en est tenu à la vérité ne s’impliquant pas dans cet accord, qui, laissait prétendre qu’elle aurait dû se faire violer et intenter une action en justice par la suite. Après sept ans passés en prison, elle est exécutée en octobre 2014.
Un capital moral à l’abandon
Critiquant la violence sexualisée contre les femmes en Iran, le « droit à la vengeance » et l’arbitraire juridique, le film culmine ainsi au-delà du compréhensible laissant place à la mémoire plutôt qu’à l’oubli.
À travers ses lettres, Reyhaneh raconte ses pires instants en prison. Elle parvient à en tirer le meilleur autour d’une solidarité féminine où les détenues partagent une injustice qui colle à la peau. Il s’agit tantôt d’une fille prostituée par la volonté de sa mère pour que ses frères continuent à vivre dans le luxe. Ou d’une autre vivant à la rue après avoir été répudiée par ses parents. En d’autres termes, voilà ce qu’il reste d’un Etat qui ne compte plus aucun capital moral.
Ce documentaire redonne espoir aux femmes dans un combat qui se veut perdu d’avance pour elles. Durant son combat, Reyhaneh ne s’est pas laissée briser. Sept hivers en prison l’ont transcendée au point qu’elle ne semblait plus de ce monde. Elle y aurait a priori tout perdu, sauf elle-même, celle à travers qui, la force de surmonter sa propre impuissance lui a permis résister éperdument.
“Sept hivers à Téhéran” sortira le 29 mars au cinéma.
Nb : Sa dernière lettre avant de mourir