Les rives du Canal de l’Ourcq sont paisibles, le béton brut du Dock B impassible. S.Téban, artiste marseillais de passage à Paris, nous accorde une interview décontractée entre bilan et ambitions.
Auparavant signé en label, S.Téban a tout balayé et repart de zéro, en indépendant, avec Base 015 sorti en 2020. Artiste moderne, il poursuit son run en 2021 avec Mode Sport, avant de conclure cette année par Hyperloop la première trilogie d’une discographie qui s’annonce flamboyante. En pleine ascension et bien entouré, l’année 2023 semble être prometteuse pour S.Téban qui a accepté de s’ouvrir à nous lors de cette interview.
Comment as-tu vécu la réception de la sortie du premier single du projet “QN Baby” ?
Je suis vraiment satisfait des retours du premier single de l’ep. J’ai eu de très bon retour sur le clip de “QN Baby”. Je tenais à revenir avec un morceau introspectif, c’est un morceau qui me tenait à cœur. Ça a bien fonctionné.
Ton nouvel EP s’appelle Hyperloop. Quelle est l’histoire de ce titre ?
Hyperloop c’est un titre auquel je pense depuis longtemps. En fait, j’avais pensé à Hyperloop à l’époque de mon premier ep, Base 015. J’ai imaginé une trilogie dont Base 015 était la rampe de lancement. Mode Sport était l’étape suivante qui me permettait de passer à la vitesse supérieure. Avec Hyperloop l’idée est d’aller toujours plus vite, encore plus loin.
Puis je voulais mettre l’accent sur la rapidité de mon quotidien. Personnellement je suis constamment en mode fast life, entre Marseille, Paris et Londres donc ça correspond bien à mon mode de vie. Avec la surconsommation, internet, tout va très vite dans le monde qui nous entoure, et je pense qu’il faut aller vite et ne pas laisser place à l’hésitation pour atteindre les objectifs que l’on se fixe.
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C’est un EP qui compte 7 morceaux, tu es toujours en mode « qualité plutôt que quantité » ?
Comme je dis sur “Fela Kuti” “pour gagner la course, il ne suffit pas d’aller vite”. La consommation fait que les auditeurs sont constamment en demande de sons. Je donne beaucoup d’importance au fait que mes sons soient de qualité. Pour l’instant cela se fait au détriment de la quantité. Il arrivera un moment où je vais allier les deux, ça doit venir au fur et à mesure. C’est la prochaine étape.
Tu es indépendant et tu as ta propre DA. Est-ce qu’il y avait un imaginaire graphique particulier que tu souhaitais développer sur Hyperloop ?
On a eu plein d’idées. La cover avec les visages se répétant à l’infini fait référence à des vagues et ça renvoie évidemment au concept initial d’hyperloop d’Elon Musk.
Il y a une ligne conductrice, et on essaye de faire en sorte que ça colle avec ma personnalité. Je ne ferais jamais de communication à base de grosses lettres pour dire “je suis là, regardez moi”. Ce n’est pas moi. Je reste concentré pour bien faire les choses. L’idée c’est de se développer progressivement. La mise en marché fait notamment partie des prochaines étapes. Pour l’instant l’accent est mis sur la musique, sur ce que l’on peut apporter de plus esthétiquement via des clips travaillés. Notre idée c’est de lier esthétisme et authenticité. On n’a pas la prétention de faire des choses en dehors de nos capacités. Je ne me mens pas à moi-même et je veux que ma musique soit honnête pour les personnes qui me suivent et me soutiennent.
« Je réalise mes morceaux à l’instinct. »
Tu peux nous raconter les thèmes que tu as voulu développer dans cet album ?
C’est un album plus froid dans l’ambiance que ce que l’on avait sur “Mode sport”. Cela correspondait à mon mood du moment et ce n’est pas vraiment calculé. Je parle de mon mode de vie, des objectifs que j’aimerais atteindre et le reste se fait sur le moment. Je réalise mes morceaux à l’instinct.
Par exemple, sur “QN Baby” je mets l’accent sur mon quartier pour dire que malgré que je n’y sois plus forcément autant qu’avant, je continuerai de représenter là d’où je viens. Comme je le dis “la calle c’est nous qu’on la chante, c’est pas moi, mais le train de vie qui change.” (Ibrahimovic). Même si j’en suis sorti, le quartier reste gravé en moi, ça fait partie de mon identité.
Cet ep est un puzzle de mots et de pensées. Je n’ai jamais de thème défini avant d’écrire un titre, c’est la musique qui me dirige.
Avec quand même un axe commun à tous les titres sur cet EP.
Oui, je trouve qu’il y a une cohérence dans les sons que je vais choisir. Il y a un pattern qui est commun à tous mes sons. Ne serait-ce que par les compositeurs avec qui je travaille. Il y a Lyele Gwapo qui est très présent sur mes projets depuis Base 015. Avec Kosei et Demna, je pense que ce sont des sonorités qui se marient bien. Après évidemment je ne vais pas rester bloqué sur un genre, un délire musical en me disant que je vais bosser uniquement là-dessus pour que le public capte que je suis le rappeur qui fait de la drill, de la trap ou du rap mélancolique. Je ne suis pas comme ça.
C’est risqué dans l’industrie musicale actuelle.
C’est un risque, mais après je fais ce que j’aime. Pour moi c’est la base et c’est comme ça que j’aborde ma musique. Comme je le dis sur le track avec Cityboymoe “ils ne savent pas ce qu’ils aiment, ils savent comment plaire. Nous ont fait ce qu’on aime, ballec de leur plaire.” C’est simple, c’est ma manière de penser. Si t’aimes pas, t’écoutes pas. Il existe pleins d’autres rappeurs à écouter, mais ceux qui aiment ma musique, ceux qui captent ma musique, ils savent pourquoi. Il n’y a pas de calculs à faire et j’espère que ça restera toujours ainsi. Mon art, je le veux libre.
« Point important, je viens de Marseille. On est un peu loin de l’industrie de la musique. Pour sortir tes premiers projets, tu passes forcément par des chemins indépendants. »
Tu as d’ailleurs créé ton propre label. Quel est ton regard sur l’industrie rap ?
J’ai décidé de créer mon propre label car avant lorsque je travaillais avec d’autres équipes je me suis rendu compte que j’avais des divergences et que je n’arrivais pas à trouver des personnes avec une vision commune à la mienne. Je me suis dit que la meilleure solution pour être satisfait à 100% de mon travail c’était de faire les choses moi-même.
Ton EP débute avec un track intitulé « Fela Kuti ». Cet artiste est un symbole, pourquoi avoir choisi ce titre ?
Tout le monde ne le connaît pas. Certains consommateurs de musique type “afrotrap” ou autre ne savent pas que Fela Kuti a été un des pionniers de l’Afrobeat. Ça n’a pas forcément été une influence, mais j’ai surtout utilisé ce titre pour souligner mon état d’esprit. Cela se retranscrit dans l’énergie du morceau. Dans le sens où Fela Kuti, la personne qu’il représente, est une référence qui me parle.
On ressent une certaine authenticité à l’écoute de ta musique. C’est un trait de caractère qui ressort lorsque tu déclares dans QN baby – « y’a que ma daronne qui peut me talker à l’impératif ».
La daronne ça représente tout. C’est la personne la plus importante de ma vie. Lorsque je déclare “y’a que la daronne qui peut me talker à l’impératif” c’est pour dire que dans ma vie jamais personne ne sera au dessus de moi. Je respecte tout le monde tant que les gens me respectent, mais je n’ai pas de boss. C’est en accord avec mon mode de vie. Je suis indépendant, j’ai mon propre label. Je décide des sons, des clips et de toute la chaîne de production de A à Z.
Au-delà de ton authenticité, tu es aussi un artiste qui performe dans l’égo trip. Pour toi la musique ça reste une compétition ?
Fort. C’est comme ça que je vois la musique. C’est un art qui n’a de cesse d’évoluer parce qu’il y a des gens qui se challengent pour toujours emmener la musique là où les auditeurs ne s’y attendent pas. Dans le rap l’aspect compétitif est évidemment présent. Il y a énormément de rappeurs et rappeuses, donc si tu ne te démarques pas tu te fais écraser. En tant que rappeur, tu es obligé de développer ce caractère de compétiteur. Quand j’arrive en studio, j’essaye déjà de me challenger moi-même, de faire le meilleur morceau possible, de faire en sorte qu’il soit mieux que le précédent. J’essaye toujours de progresser. C’est ce qui fait qu’à mon avis musicalement je ne reste pas bloqué sur un genre. Peut-être que c’est ce qui me fait défaut car les gens vont plus facilement s’identifier à un artiste qui fait uniquement de la drill. Peu m’importe, j’essaye de faire ce que j’aime et j’espère que ça plaira au plus grand nombre. Mais en tout cas, jamais je ne me reposerai sur mes lauriers.
Tu as des featurings intéressants sur cet album, notamment avec deux artistes avec lesquels t’as déjà featé, La fève et JMK$. C’est la famille maintenant ?
Comme moi JMK$ est de Marseille, donc ça s’est fait naturellement. On enregistrait dans le même studio, on se croisait souvent et on se faisait écouter nos différents sons et projets. La connexion s’est faite et je l’ai invité sur mon premier projet « Base 015 » sur le track que l’on a clippé, “Le code”. Forcément si la connexion dure encore aujourd’hui c’est qu’humainement on partage pas mal de points communs, que ce soit dans notre vision artistique ou dans la vie de tous les jours.
Avec Fève la connexion s’est faite via Kosei qui est un compositeur venant de Marseille. Féve sortait de Kolaf avec Kosei et on s’est croisé plusieurs fois à Paris et Marseille. Humainement, avec lui et son équipe de la Walone ce fût une très belle rencontre. Ensuite il m’a invité sur ERRR et on a posé ensemble sur “VVS”. Mes connexions sont toutes naturelles et comme je le dis sur “Fela Kuti” “si t’es pas le sang c’est impossible qu’on feat.” Ça ne veut pas dire que je suis fermé à d’autres featurings, mais j’apprécie faire des morceaux avec des artistes dont j’apprécie vraiment la musique.
Sur tes morceaux on retrouve régulièrement des titres qui renvoient à des personnalités publiques (Stromae, Fela Kuti, Ibrahimovic). Ce sont des personnes inspirantes pour toi ?
Je m’en suis rendu compte en réalisant la tracklist. C’est une manière d’attirer l’auditeur vers le morceau et de le plonger dans ce qui pourrait s’apparenter à un univers. Ce sont plus des références que des influences et ça me permet de créer une ambiance. Je fais ça plutôt dans une démarche cinématographique. Ce n’est pas tellement calculé. Pour “Mamba” par exemple, c’est une dédicace à Kobe Bryant et ça fait référence à sa mentalité. Il avait cette volonté de toujours se dépasser et c’est une philosophie que je souhaitais mettre en avant.
En studio quand j’écris des punch il y en a souvent une qui ressort comme sur “Ibrahimovic”. Cityboymoe le cite sur le refrain et à la fin je lui demande comment on appelle le titre. Il me dit qu’Ibrahimovic ça claque bien au vu du personnage. C’est à l’instinct.
« J’ai monté ma structure. C’est la première fois que j’ai un label. C’est la première fois que je sors des projets solo. Chaque jour j’apprends beaucoup de choses sur le métier. »
Avec Hyperloop tu arrives donc au terme de ta trilogie. Tu en tires quel bilan ?
Le plan n’est pas toujours aussi linéaire qu’on l’espère, mais je vais continuer à charbonner. C’est un marathon.
Je suis vraiment satisfait des morceaux d’Hyperloop. Travailler avec des artistes comme Gwapo, Demna, Kosei, c’était essentiel car ce sont des challengers. Ils me poussent à repousser mes limites et tentent constamment de faire progresser leur musique en apportant quelque chose de nouveau, de frais. Chaque morceau à son ambiance qui lui est propre et créent tous ensemble une cohérence. J’ai donné le maximum sur tous les tracks.
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