Validé, Nouvelle école, ou bien encore l’exposition “Hip-hop 360” qui se tenait à la Philharmonie de Paris ont été l’occasion de déconstruire, parfois de renforcer, les stéréotypes sur la culture du rap et le genre hip-hop. Un genre dont il était véritablement question d’en savoir plus et qui est abordé, une nouvelle fois, dans la mini-série Le Monde de demain.
Aujourd’hui, tout le monde est tenté de s’emparer du sujet. Le rap est-il surreprésenté ? Non, la question ne se pose plus et ne prête pas grand intérêt. Le rap n’a cessé d’être à l’honneur, causant l’embarras auprès de ceux qui, méprisant cet art, y voyaient le déshonneur. La réflexion est celle de constater que le rap en tant que contre-culture subit une représentation malgré tout imparfaite.
L’histoire d’un collectif partagé par des récits personnels…
Le Monde de demain, diffusée à l’origine sur Arte, est une fiction construite sur 6 épisodes qui retrace à la fois la naissance du groupe NTM et à la fois celle du mouvement hip-hop en France dans les années 80. Cette série arrive un an après la sortie du film Suprêmes d’Audrey Estrougo, particulièrement axé sur le récit de ses fondateurs : Joey Starr et Kool Shen.
À l’instar du film, ici “on raconte l’histoire à travers quelques personnages qu’on trouve emblématiques de ce mouvement — ce n’est pas un point de vue total sur toute l’histoire du rap, mais bien une histoire du rap français”, annonce Hélier Cisterne, réalisateur de la minisérie avec sa collègue Katell Quillévéré. Cette histoire, ce n’est pas celle d’un, mais de plusieurs personnages principaux. Il est d’ailleurs intéressant de les découvrir indépendamment avant de voir le scénario faire en sorte que leur chemin finisse tous par se croiser.
Depuis Saint-Denis, les protagonistes marchent à l’ambition et courent après le risque pour nourrir leur fantasme ultime : celui de conquérir la capitale. Hormis le célèbre duo, c’est Dee Nasty – joué par Andranic Manet – que les réalisateurs ont choisi de mettre en scène accompagné de la remarquable Béatrice (Léo Chalié). Dee Nasty est le DJ, sans qui, le hip-hop ne se serait peut-être jamais implanté en France. Constamment mis à l’épreuve, ses rêves et ambitions font l’objet de haut et de bas dans le corps d’un personnage que la série va développer de manière touchante.
… ainsi que des lieux emblématiques
Chaque épisode porte le nom de lieux emblématiques : Trocadéro, Grange-aux-Belles, Globo, La Chapelle… De 1985 à 1989, le terrain vague de La Chapelle est au cœur de la culture hip-hop. Graffeurs, tagueurs, breakdanceurs et auteurs s’y retrouvent, donnant vie à leur mouvement que symbolise si parfaitement la fresque Criminal Art, réalisée par Bando et Mode 2. Par la suite, tout le monde finira par se retrouver au Globo où mixe DJ Dee Nasty, qui aura ensuite son émission Deenastyle sur Radio Nova.
“Un peu avant ça, les premiers graffeurs se croisent au hasard de la vie sur les quais de Seine, ou sur les palissades du chantier de Beaubourg et du Louvre”, précise le réalisateur Karim Boukercha.
Devenu un centre de tri postal, le terrain a aujourd’hui disparu. Une archive mémorable fait part de cet endroit en montrant Joey Starr de NTM, Solo et Squat d’Assassin, en compagnie des graffeurs Leeds (qui témoigne ici), Meo et Mode 2 rejoints par Vincent Cassel.
Une réalité tronquée par la fiction
« Demande à la rue et la rue te dira ». Le Monde de demain est révélateur de son temps mais que partiellement. Il est regrettable qu’elle se limite à six épisodes car son potentiel aurait pû pousser l’intrigue et la réflexion, à défaut de laisser l’auditeur sur sa faim. La série accueille des problématiques qui touchent l’époque (toujours d’actualité d’ailleurs) telles que l’écart entre les classes sociales, l’inégalité des chances, la misogynie, la liberté de disposer de son corps…
“Qu’ils nous choisissent parmi tous les pauvres : toi, là-bas, cher gueux !”, rappelle Didier à Bruno – interprété par Melvin Boomer et Anthony Bajon – dans l’épisode 3 autour d’une discussion saisissante entre les deux protagonistes. Certes, tout n’était pas si facile.
Malgré ça, la série esquive la thématique de la came et du sida qui pourtant tient une place majeure dans les quartiers. Quant aux vices de l’industrie musicale, elle esquisse rapidement le problème mais ne va pas au bout des choses. Plus encore, la représentation sous peu stéréotypée d’un rap engagé marque un contraste. Celui de laisser prétendre que le rap de nos jours se réduit à tout ce qu’il y a d’inconscient – ce qu’affirment l’enseignant Ulysse Rabaté et le journaliste Ramses Kefi, spécialiste des problèmes de société.
Toujours est-il qu’en tant que “fiction”, Le Monde de demain fait gloire à l’art de rue à travers les connaissances qu’elle attise. Survêtements, lino et vinyles tendent à la réminiscence. Sublime esthétique, beau jeu d’acteur et amour de l’émotion font trait à sa convoitise. Là où le ringard approche de l’embarras, l’âme innocente de l’époque anime un mouvement novice. Un mouvement qui tient par la main la contre culture du monde d’hier, mais qui porte sur ses épaules la culture populaire du monde d’aujourd’hui.
La série réalisée par Katell Quillévéré et Hélier Cisterne, est désormais disponible sur Netflix.