Le dernier des mohicans ? Non, Aket’ n’en a pas terminé avec cette passion qui le ronge depuis près de 30 ans. Assoiffé de rap, le natif de Deuil-la-Barre a récemment sorti “Zone Bleue”. Un nouveau projet solo pour un rappeur qui confirme sa mue et prouve qu’il a encore des choses à dire.
Frais comme un daron. Jamais anachronique, à 42 ans Aketo ne cesse de surprendre par sa capacité à se renouveler. “Zone Bleue” poursuit le nouvel élan déjà engagé sur les deux précédents projets “Confiserie” (2020) et “Monsieur Bourbier” (2021). Passionné, il continue après toutes ces années d’exprimer sa maîtrise au micro. Éloigné des standards initiaux sur lesquels les auditeurs l’ont découvert avec Sniper, Aketo parvient à maintenir une cohérence avec l’écosystème du rap actuel, fait rare pour son âge.
“Je me sens comme si j’avais 20 ans avec 20 ans d’expérience.” – « LSDB », feat. Double M, Madizm, Djado Mado, Yara, Carson (2021)
Une pertinence que l’on retrouve d’ailleurs dans le choix de la date de sortie de son nouveau projet. Prenant ses distances avec certaines règles tacites de l’industrie musicale actuelle, Aketo a choisi de sortir “Zone Bleue” un mercredi. Une manière d’occuper le terrain différemment et de revendiquer l’authenticité de sa musique.
À la croisée des chemins
Natif du Val d’Oise, Aketo passe sa jeunesse entre son département d’origine et la ville de Saint-Denis, alors épicentre du Hip-Hop. Passionné de graff, il découvre le Rap à la même époque. Il fait rapidement la rencontre de Tunisiano, puis de Blacko et Dj Boudj. S’invitant sur l’une de leur scène en tant que backeur, Aketo impressionne. Sniper est né. En 2001, une première pierre à l’édifice est posée avec la sortie de l’opus “Du rire aux larmes”. La boom bap cisaillée de Sniper ne laisse pas indifférent et les 3 rappeurs s’imposent rapidement comme des références dans le paysage rap fr. En 2003, sort “Gravé dans la Roche”, un album qui s’écoulera à 600 000 exemplaires. Consécration, Sniper tient son album classique, et accessoirement une seconde peau dont Aketo ne peut plus se détacher.
“Avec mes yeux d’enfant, j’ai tous pris dans la gueule en même temps. Gue-ta, pe-ra, se-dan à fond dedans. Petit Aket’ veut en être et finit par s’y mettre.”
“Le rap et tout c’qui va avec m’a mis une grande claque. Pour beaucoup ce n’était qu’une mode, pour d’autres une grande blague. Moi c’est vite devenu ma drogue, ouai j’suis un grand, j’claque” – « Retour aux sources », Synkronic Best of Vol.1 (2011)
Un premier écho musical collectif pour Aket’ suivi ensuite par la sortie de trois albums. Le dernier en date, sorti en 2018 après 7 longues années d’absences s’intitule “Personnalité Suspecte. Vol 1” et ravit les fans. Alors qu’une tournée est annoncée dans la foulée, c’était sans compter sur une énième séparation, définitive cette fois-ci. La dernière en date à ce jour.
Intervient alors une réflexion commune à celles et ceux débutant leur carrière artistique en groupe. Que faire une fois seul ? Poursuivre ou cesser toute activité artistique ?
Aketo hésite mais franchit le pas. Il profite de la période du confinement pour être présent sur les réseaux sociaux en organisant le “Paname All Starz Challenge”. Le célèbre morceau est repris par bon nombre de têtes d’affiches du rap fr, et bien entendu le public est toujours enthousiaste quant à une réapparition d’Aketo sur les plateformes. D’autant plus que la réussite du battle avec Tunisiano face à Sat l’artificier de la Fonky Family sur Instagram laissait entrevoir un éventuel retour aux sources.
Pas vraiment, le moment était plutôt venu pour Aketo de confirmer le contre-pied dont il rêvait depuis trop longtemps. En solo, il dévoile un nouveau visage et se challenge sur “Confiserie” produit en grande partie par Madizm (ex membre du label IV my people). Suit le projet “Monsieur Bourbier” (2021) venant conclure l’impression initiale. Aketo fait ce qui lui plaît, et ça fait plaisir à voir.
“Street Life vive le Rap. J’suis devenu un grand quelqu’un. Même pas eu besoin de forcer le destin.
Le Rap c’est sérieux touche pas à ma musique.
T’es comme un footix tu parles à un puriste” – Temple
La dalle d’un bleu
Renouvellement ne rime pas forcément avec travestissement. Alors que l’année 2022 a vu plusieurs jeunes rappeurs et rappeuses tenter de prendre leurs distances avec la standardisation ambiante du rap fr, quelques artistes expérimentés ne sont pas en reste. Et une nouvelle fois Aketo fait parler sa singularité, tant “Zone Bleue” maintient une cohérence et un haut niveau d’exigence sur les 9 morceaux proposés.
« Je fais un album pour enfin mettre du vrai son dans mon phone. » – Conséquences
Aketo semble s’épanouir dans cette posture d’artiste vétéran, alternant entre sagesse et fraîcheur. Un sentiment que l’on retrouve notamment à travers les featurings du projet. Rappant en compagnie d’Infinit’, Limsa d’Aulnay et So la Lune, le rappeur réunit un panel d’influences larges. Sur « Régal » (feat. Limsa), Aketo paraît plus détaché qu’à l’accoutumée. Mais bien plus qu’une ambition simpliste, ici le emcee veut simplement rapper comme bon lui semble.
Une soif de rap qui se traduit également par le plaisir que prend Aketo à composer ses textes. S’amusant perpétuellement avec les mots, le rappeur rappelle sa science des rimes et livre des textes riches de sens :
« Philosophie de comptoir,
Ils ont pas dit bonsoir.
Ils se sont fait baiser leur mères,
Personne leur a dit au revoir.
Bon sang de bonsoir,
Valait mieux dire bonsoir.
J’ai quitté ce coin de zinzin, pour le 95 -1.
Je m’entend avec mes voisins.
Les oiseaux chantent le matin.
Si le futur sent le sapin,
Comme celui dans mon jardin
Sisi ça m’enjaille bien. »
– Chap Chap
Par un procédé de rimes en « oir » et « in » Aketo s’amuse à employer deux sonorités opposées, l’une plus rêche à l’écoute (« oir »), traduisant ainsi son rejet d’une situation. Tandis qu’à travers une allitération en « s », le rappeur introduit une rime plus douce (« in »), afin de traduire son plaisir de retrouver son « chez-soi ».
Le virage solo est convaincant. Toujours aussi plaisant à écouter, la nouvelle recette made in Aketo plaît ou ne plaît pas, mais peu importe. L’important réside ailleurs. Aketo est de nouveau fringant, connecté à sa réalité tout en continuant de faire progresser sa musique. Une quête de sens personnelle et honnête qui rend ce nouvel opus d’autant plus percutant.
Ride nocturne nostalgique
S’écoule l’écoute et « Zone Bleue » prend des allures de ride en voiture, l’auditeur se laissant emporter par l’émotion nostalgique de la voix et des textes d’Aketo. Une occurrence mélancolique d’ailleurs bien aidé par l’usage assumé de l’auto-tune. Symbole éminent de modernité dans le hip-hop, désormais adoubé par le grand public, l’auto-tune n’a pourtant pas toujours convaincu Aketo. Après un essai convaincant sur « Paname Bourbier« , les réserves initiales se sont finalement estompées. Laissant place à un usage fin et maîtrisé de cet outil, Aketo en profite pour véhiculer une imagerie empreinte de nostalgie.
Le travail consacré au beatmaking est d’ailleurs à souligner, tant les sonorités donnent au projet son caractère. Les toussotements sur « Régal« , le refrain entre kickage et flow murmuré sur « Conséquences« , et un fond sonore commun, sont autant d’éléments rendant la balade auditive surprenante et authentique. Au-delà de ces détails, une couleur globale se détache à l’écoute de « Zone Bleue ». Sous lunettes bleutées, Aketo instaure une ambiance nocturne, rappelant quelques unes de ses influences, notamment celles pour la scène indépendante de Memphis ou encore Cypress Hill. L’aspect sonore du projet rend ainsi d’autant plus pertinent le développement des états d’âmes d’Aketo.
Mais pas question de faire de la nostalgie pour faire de la nostalgie. Le rap est son besoin, sa vérité, et le projet à des allures de fil à dérouler dans lequel Aketo choisit les morceaux pour leur pertinence. Pas besoin donc d’un long format de plus de 20 titres, prenant le risque de sortir l’auditeur de l’atmosphère souhaitée. 9 tracks c’est le bon format pour Aketo afin de dresser le bilan et animer son univers hypnotique.
« J’reconnais même plus le tieks,
Tout a changé.
Où sont mes soss, où sont les vrais.
J’ai beau chercher,
Plus personne à cette adresse. » – Kartier
L’égo trip est maîtrisé et le sentiment nostalgique ne sert pas un rap tire larmes. « Zone Bleue » dresse le cheminement de la réflexion personnelle d’un rappeur ayant trouvé sa place. Épanoui, Aketo ne souhaite pas être un « gardien d’un temps » révolu. Bien que les choses aient changées, le rappeur prouve qu’il parviendra toujours à s’adapter sans se travestir, sans oublier ce qui fait son rap : l’authenticité.
Dérapage maîtrisé.
« Zone Bleue » d’Aketo est disponible sur toutes les plateformes de streaming.