En 2019, lors d’une interview pour Brut, le principal intéressé déclarait « c’est pas grave qu’on m’aime ou qu’on m’aime pas ». La phrase semble anodine, en réalité elle reflète sûrement sa carrière. Une carrière, où pendant plus de 25 ans, il a imposé son hégémonie sur le rap français. Pas sans accroc, car Booba ne laisse pas insensible, l’homme divise et le sait. Aujourd’hui marque la sortie de son 10e album, « le dernier ». L’occasion de faire le portrait d’un Mauvais Garçon…
Renouvellement musical perpétuel
En 1994, Booba pose un couplet sur Exercice de Style (avec La Cliqua et Moda) sur la compilation Sortir Du Tunnel, où il fera la connaissance d’un certain Ali. C’est en 2010 sur l’album Lunatic, que Booba rendra un hommage à son compère « A.L.I tu as toute ma reconnaissance », avec lequel il a fondé le groupe éponyme de l’album.
Après avoir quitté Beat de Boul, les deux acolytes du 92 rejoignent le très prestigieux collectif Time Bomb composé de pointures comme les X-Men, Pit Bacardi (frère de Dosseh) ou encore Oxmo Puccino pour ne citer qu’eux. La musique du collectif est directement influencée d’un rap new-yorkais dur et cru, reflétant le quotidien du ghetto, à l’image du Wu-Tang Clan mais surtout de Mobb Deep.
Car oui, Mauvais Œil, premier et unique album de Lunatic, est souvent comparé au classique new-yorkais qu’est Hell On Earth. À travers cet album, le public rencontre un Ali, dont la plume se reconnaît aisément et un Booba incisif dans les punchlines. Lunatic divise, par la virulence de ses textes. À commencer par Skyrock, qui trouve certaines punchlines trop violentes pour être diffusées sur les ondes. Malgré tout, Mauvais Œil sera certifié disque d’or et cela en indépendant. Le tout porté par des titres comme La Lettre, Le silence n’est pas un oubli ou encore Pas l’temps pour les regrets. Nous sommes en 2000, et encore loin d’imaginer la suite de la carrière d’Eli Yaffa, alias Booba.
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En 2002, il livre son premier projet solo avec Temps Mort. L’album permet au public de retrouver un Booba toujours aussi incisif, avec des titres comme Temps Mort, Interlude, Le Bitume avec une Plume. L’album offre même un titre « grand public » avec Destinée, qui sera un succès radiophonique. Le natif des Hauts de Seine, continue sa belle lancée, en enchaînant respectivement Panthéon (où la fin de l’intro est un extrait du dessin animé Booba), et Ouest Side avec surement le premier banger du rap français Boulbi.
Après autant de succès commercial et critique, une petite nuance était peut-être inévitable. Elle arrive en 2008 avec son album 0.9. L’album connaît un accueil mitigé, l’usage de l’autotune est le principal reproche fait à celui-ci. Booba précurseur ? Peu importe. Cela ne l’empêche pas de revenir en 2010 avec Lunatic (album), très bien accueilli avec des titres à succès comme Jour de Paye ou encore l’assez introspectif Ma Couleur.
Et ce n’est pas la nouvelle décennie qui va l’empêcher d’être productif. Avec la sortie du très américain Futur en 2012, berceau du très fameux Kalash en featuring avec Kaaris. Le rappeur doit se renouveler artistiquement s’il veut perdurer dans un milieu marqué par l’émergence de rappeurs (SCH, Jul, Kaaris).
C’est chose faite avec D.U.C, qui offre au public un clip très cinématographique (clairement calqué sur Drive) dans OKLM, et avec un Temps Mort 2.0, en featuring avec Lino, où les deux compères vont sûrement lâcher les deux meilleurs couplets de l’album. En 2015, en plein clash avec Rohff, il décide de sortir son album à la même date que son rival du 94. Ainsi, Nero Némésis voit le jour le 4 décembre 2015, en même temps que les projets de Rohff, Nekfeu, Jul.
À travers cet album, le public retrouve un Booba délaissant l’autotune, et qui revient à des titres beaucoup plus rappés. Le projet, s’impose comme le meilleur projet de Booba durant la décennie. En effet, il est porté par des morceaux coups de poing comme Zer ou Pinnochio, et des hits avec 92I Veyron ou Validé. Les fans sont rassasiés grâce à un Booba revenant à un rap grâce auquel il s’est imposé comme un poids lourd du milieu. Le Duc de Boulogne conclut la décennie avec Trône. Album un peu décevant, mais qui rencontre un grand succès commercial malgré tout.
En plus des albums, il faut également préciser que Booba a sorti plusieurs mixtapes, sous le nom d’Autopsie (4 au total). C’est par ailleurs sa mixtape Autopsie 3, qui le fera rebondir, après une perte de vitesse avec 0.9.
Le sens des affaires
Si Booba affiche une carrière de plus de 20 ans, c’est avant tout grâce à son sens du business qui est indéniable. Sur le plan textile, il a tout d’abord développé Unküt. Marque ayant bien fonctionné dans les années 2000, elle va même jusqu’à collaborer avec le jeu vidéo Saints Row 2. Plus récemment, c’est sa nouvelle marque DCNTD qui a vu le jour. Toujours dans l’univers de la mode, Booba reste à ce jour l’unique rappeur français à avoir sa propre paire avec une Air Force 1 (dans le cadre du Projet 1 World).
Musicalement, sa longévité est aussi dû à son renouvellement permanent. Le Duc a parfaitement compris que les attentes du public évoluaient, tout comme le rap. Tout au long de sa carrière il a exploré des sonorités différentes, que ce soit le rap pur et dur, les titres plus chantés, du reggaeton ou encore une chanson dédiée à sa fille. Le rappeur du 92 aura exploré de multiples registres musicaux et avec succès.
En plus d’avoir performé individuellement, nombreux sont les artistes ayant bénéficié d’une exposition médiatique et musicale grâce à Booba. Kennedy, Maes, Kaaris, Damso, Shay, Siboy, Benash, Gato, Kayna Samet, Green Montana, Niska, Gradur, MHD, Dosseh, 40 000 GANG, la liste est longue. Peu importe les noms, le constat est simple, Booba n’est pas avare en collaboration et en coup de pouce.
Mélangeant communication et musique, le site et média OKLM est né. Volonté de l’artiste de mettre en avant un rap, trop peu médiatisé ou mal traité ? En tout cas, le média mettra en avant bon nombre d’artistes, et produira même des séances de freestyles très médiatisées.
Côté communication, bien avant les réseaux sociaux, l’art de la joute verbale était sien. Plaire lui importe peu, le rap c’est avant tout une compétition. Logiquement les piques à travers les morceaux sont nombreuses. En dehors du format musical, les confrontations ont lieu en face à face, Booba n’a pas attendu la bagarre d’Orly pour s’illustrer en public. En 2008, à Urban Peace, c’est sous les huées des spectateurs qu’il interrompt son concert et finit par lancer une bouteille de whisky sur le public, avant de quitter la scène. Le principal intéressé s’exprimera, dans les Inrocks, admettant que son geste n’aurait pas dû arriver mais en soulignant le manque d’organisation et de sécurité de l’événement.
Incompris ?
Comme sa déclaration, à propos d’Urban Peace, Booba divise. Il ne laisse pas indifférent, et le sait parfaitement. Peu importe qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il fait et dit ce qu’il veut. La liberté, voilà ce qu’il a peut-être toujours recherché au fond. Son départ à Miami, se traduit peut-être comme une envie de partir de la France, où il restera à ses yeux, un incompris.
Être à contre-courant lui importe peu. La liste de clash avec d’autres artistes est assez longue, mais les piques à destination des poids lourds du milieu comme Rohff, La Fouine ou plus récemment Kaaris ou Damso, restent dans les mémoires. Hors musique, Laurent Bouneau et Fred Musa (tous deux de Skyrock) restent des cibles récurrentes.
Globalement c’est peut-être au manque de considération qu’il en veut. Pilier de l’industrie et fort d’une carrière longue de plus de 20 ans, il n’est que peu joué à la radio et jamais nominé dans les cérémonies musicales nationales. Peu importe la notoriété de ses adversaires, ou le domaine dans lesquels ils exercent, personne n’est épargné. Saïd Taghmaoui ou Matthieu Kassovitz dans le cinéma, Mehdi Maïzi, Fif, Yerim Sar dans le journalisme, Mister V et Squeezie dans les youtubeurs s’essayant dans la musique.
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Pourquoi ? Probablement la faute à une image controversée. Par des prises de position polémiques comme celle sur Charlie Hebdo par exemple. Son image est polémique pour certains, justifiée pour d’autres. Le voilà le paradoxe autour de Booba. Lui, brosse le portrait d’un environnement méprisant voire raciste. Seul moyen de surmonter les obstacles ? Les détruire, et qu’importe l’image donnée. Un grand incompris dans une société rongée par l’hypocrisie sociale et politique, voilà comment on pourrait décrire la position de Booba en France.
En 2019, sur les ondes de Radio France, il évoquait son enfance, et la complexité de trouver sa place en tant que métisse et face aux réflexions. Augustin Trappenard lui demandait alors « comment on fait pour s’armer, pour se blinder face à ça ? ». Réponse claire et simple de l’interviewé « on leur dit je vous baise ». Sorte de leçon de vie, qu’il a appliqué tout au long de sa carrière jusqu’aujourd’hui, sans se soucier de l’avis de personne. Ultime illustration, son feat avec Christine and The Queens, qui fera railler les médias, mais qui musicalement était intéressant.
Résumer plus de 20 ans de carrière c’est dur. Booba est sûrement le plus grand rappeur français de l’histoire, musicalement parlant, à ce jour. Il aura été présent pendant plus de 20 ans et avec succès c’est indéniable. L’image qu’il a cultivée peut déplaire, mais finalement elle réjouit et elle vient animer un milieu qui devient de plus en plus lisse. Sans Booba, le rap français perdra un peu de saveur et de punchlines, tant il a marqué différentes époques et différents publics. C’est avec Ultra que se finit probablement un chapitre de l’histoire du rap français.
Tout compte fait, c’est dans Couleur Ebène qu’il résumait le mieux sa carrière :
« Moi je rêve j’accomplis, même si je crève incompris, j’ai du gloss sur la verge, de l’encre dans les veines, du pétrole sur les lèvres, ma vie est tristement belle »