Du 5 avril au 28 août 2023, la Fondation Louis Vuitton révèle un des projets les plus ambitieux de collaboration artistique de l’histoire de l’art : celle entre Jean-Michelle Basquiat et Andy Warhol, réunissant des œuvres jamais présentées en Europe ni ailleurs à cette échelle. En complémentarité, la Philharmonie de Paris présente “Basquiat Soundtracks”, la première exposition consacrée au rôle de la musique dans l’art de Jean-Michel Basquiat.
Basquiat, ce jeune artiste émergent, qui a élevé le street art au rang de beaux-arts, partageait avec Warhol, le pape du Pop, un puissant lien d’amitié. Durant l’automne 1983 à l’automne 1985, les deux new-yorkais se sont lancés dans une collaboration complètement contestée et critiquée à son époque. Un rejet qui a toutefois conduit ces artistes à maintenir leur esprit créatif et combatif, évitant de se répéter, voire de s’imiter soi-même. Ce qui, pour ainsi dire, s’avère le cas d’un artiste trop acclamé.
Basquiat x Warhol : À Quatre Mains
Le défunt Virgil Abloh aurait eu le plaisir de rappeler que la vie est collaboration. Poursuivant qu’il serait assez maladroit de faire croire que l’art se résume à une histoire d’amour solitaire – une personne, une idée, sans impliquer qui que ce soit d’autre. Il est vrai que de nos jours, traîne parfois un besoin de privilégier l’artiste qui veut jouer le lutteur solitaire et ainsi lui accorder plus de valeur. Pourtant cette conception est en réalité dépassée depuis que la coopération entre deux génies est capable de donner naissance à des œuvres davantage significatives que celle d’un artiste isolé.
Nick Rhodes, claviériste du groupe Duran Duran et ami des deux artistes énonçait justement à propos : « La réunion de ces deux talents et de ces deux esprits incroyables a provoqué une explosion de couleurs et d’énergie que l’on n’aurait jamais connue sinon. La première fois que j’ai vu ces collaborations, j’étais sans voix ».
Une admiration qui s’explique sans doute par la délicate relation entre deux artistes constamment intimidés par la mise au défi : l’inspiration au prix de la provocation. Ce qui a si bien fonctionné entre Basquiat et Warhol est que chacun encourageait l’autre à le surpasser. Il y en avait toujours un étonné par la maîtrise artistique de l’autre.
La collision de deux mondes différents et le désir de faire quelque chose de spécial, comme un tout
Cette exposition positionne deux artistes – parmi les plus importants et les plus influents du XXe siècle – au tournant d’esthétiques parfaitement distinctes. Une rage critique et ciblée chez Basquiat ; plutôt indécidable et ambiguë chez Warhol. Malgré cet antagonisme, ils parviennent néanmoins à bâtir un dialogue commun autour d’un monde récurrent de drames – l’un fragilisé par un accident de voiture, l’autre par une tentative d’assassinat – violences policières, communication de masse, consommation et imagerie pop.
Les œuvres présentées sont semblables à des conversations, des dialogues, mais aussi des confrontations physiques à travers deux conceptions de l’art et de deux visions du monde très différentes. La photographie de l’affiche de l’exposition, prise par Michael Halsband, montrant les deux artistes avec des gants de boxe dans des positions de combat fait clairement référence à la collision que reflète cette coopération unique en son genre.
La peinture Don’t Tread on Me dans laquelle Basquiat critique ouvertement le capitalisme, Warhol y incarne à la perfection le portrait de l’artiste en homme d’affaires : « Être un bon homme d’affaires est la forme d’art la plus fascinante qui soit. Gagner de l’argent, c’est de l’art, travailler, c’est de l’art, et faire de bonnes affaires, c’est l’art suprême ». Toutes les barrières séparant l’art de l’économie s’effondrent là où Warhol a adopté les règles de la société industrielle en donnant l’impression de produire des œuvres d’art à la chaîne dans sa Factory – son atelier.
Selon Keith Haring, quoi qu’il en soit, tous deux ont tiré un immense bénéfice de cette confrontation. Les peintures issues de leur collaboration sont le parfait témoignage de la profondeur et de l’importance de leur amitié. La qualité de leurs œuvres témoigne de la qualité de leur relation. Elles sont véritablement une invention de ce que William S. Burroughs a appelé The Third Mind [« le troisième esprit »], c’est-à-dire deux esprits extraordinaires qui fusionnent pour en créer un troisième, unique et totalement distinct .
Une conversation en peinture plus qu’en mots
Basquiat a déclaré dans un entretien avec Becky Johnston et Tamra Davis en ces termes : « Il commençait la plupart des peintures. Il mettait quelque chose de très concret ou de très reconnaissable, comme une manchette de journal ou un logo de produit, et puis je le défigurais, en quelque sorte, et puis j’essayais de le faire retravailler dessus un peu, et puis je retravaillais dessus davantage. J’essayais de lui faire faire au moins deux choses, tu sais ? [rires] Il aime bien lancer juste un truc et après ça, me laisser faire tout le travail ».
Le projet avait débuté par des modifications apportées par Basquiat à des tableaux déjà terminés de Warhol. Le rythme était intense, ils travaillaient sur plusieurs toiles, aux formats parfois monumentaux et durant des journées entières : « Nous passions tout notre temps à peindre par-dessus les trucs de l’autre ». En l’espace de deux ans, c’est plus de cent soixante tableaux qui ont été réalisés. Basquiat prenait l’habitude d’indiquer que Andy et lui avaient travaillé ensemble « sur un million de toiles » afin d’insister sur l’aspect grandiose de cette coopération.
Warhol racontait que les meilleures de leurs œuvres collaboratives sont celles où précisément on ne peut pas savoir qui a fait quoi, à l’instar de Felix the Cat et Collaboration (Pontiac) No. 5. Des enjeux majeurs prennent forme comme celui du racisme dans Taxi, 45th/Broadway, se référant à l’intimidation ordinaire subie par Basquiat, qui s’était vu refuser une course. Tandis que dans 6.99, repentirs, cicatrices et stigmates sociaux s’hybrident dans une parfaite fusion formelle à travers la peinture.
« Basquiat x Warhol, À quatre mains » à la Fondation Louis Vuitton du 5 avril au 28 août 2023
“Basquiat Soundtracks”
Pour la première fois, l’œuvre de Basquiat est donnée à entendre autant qu’à voir. La Philharmonie de Paris poursuit l’exposition autour de l’œuvre de Jean-Michel Basquiat dans une dimension proprement musicale.
Ce projet souhaite expérimenter une nouvelle manière d’exposer l’artiste et de traduire visuellement l’imaginaire sonore de ses œuvres qui trouvent, bien souvent dans la musique de son temps, ses principes structurants.
«Basquiat Soundtracks» à la Philharmonie de Paris (75019) jusqu’au 30 juillet.
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