Sujet récurrent depuis ses débuts, les rappeurs et autres MC ont très souvent évoqué la brutalité policière. Depuis longtemps, la culture hip-hop porte en elle cette méfiance vis-à-vis des forces de l’ordre.
Né des block- party new-yorkaises, de DJ Kool Herc notamment, le rap n’a pas toujours eu vocation à dénoncer. Toutefois on retrouve très tôt des artistes ayant décidé de relater leur rapport mouvementé aux forces de l’ordre.
Les relations entre la police et les Afro-américains aux États-Unis sont tendues depuis plusieurs décennies. Lynchage lors des manifestations des droits civiques, atrocités et barbaries commises sur fond de loi Jim Crow. Les années 60 verront les morts successives de Malcolm X en 1965 puis de Martin Luther King en 1968, deux des plus grands leaders afro-américains . Au début des années 70, la culture hip-hop prend de l’ampleur dans la Grosse Pomme. C’est le début d’un phénomène qui prendra le monde de court et une révolution musicale s’opère. Grandmaster Flash & The Furious Five, avec le morceau The Message sorti en 1982, ou encore Public Enemy profiteront de cet élan et lanceront durant les années 80 les bases d’un rap plus conscient voire politique.
Néanmoins, c’est du côté d’un groupe plus « gangsta » que la dénonciation se fera virulente. 1988, NWA, un groupe issu de Californie composé de Dr.Dre, Eazy-E, Ice Cube, DJ Yella, MC Ren, Arabian Prince, sort son premier album, Straight Outta Compton. Un des morceaux de l’album Fuck tha police est sujet à controverse. Le titre est on ne peut plus explicit et exprime cette grogne contre la police, la LAPD plus précisément et leur actions, notamment contre les Afro-américains (qui prendront une autre ampleur en 1992 avec le meurtre de Rodney King). Un titre qui vaudra à NWA une certaine censure ainsi qu’une lettre de la part du FBI pour incitation à la violence.
Dans la période plus récente, ce sont des artistes comme Kendrick Lamar, et le morceau Alright issu de l’album TPAB, qui font état de cette relation houleuse et ponctuée de violences.
En 2018, sortait Nasir, onzième album de l’inénarrable Nas. Cops Shot The Kid, morceau quasi hypnotique en featuring avec Kanye West y figure. Sur un sample de Children’s Story de Slick Rick et avec la voix de l’humoriste Richard Pryor en fond, Nas rappelle que le racisme et les violences policières parsèment l’existence des jeunes noirs américains . Il déclare : »Reminds me of Emmett Till, Let’s remind ’em why Kap kneels » (Cela me rappelle Emmett Till, rappelons leurs pourquoi Kap’ s’agenouille). « Kap »est en référence à Colin Kaepernick, ancien quarterback des San Francisco 49ers, qui s’agenouillait lors de l’hymne américain pour dénoncer ces violences. Cela avait donné lieu à une intense polémique Outre-Atlantique et le jeune homme avait fini par perdre son travail.
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Dans l’Hexagone, où le rap arrive dans les années 90, la brutalité policière est aussi un sujet présent depuis plusieurs années. Une extrême violence que subissent les habitants de quartiers populaires et notamment ceux issus de minorités ethniques. Les rappeurs français et leur musique portent aussi cette virulence et véhémence à l’égard des forces de l’ordre. Récemment, c’est 13 Block et leur morceau Fuck le 17 (comme un clin d’oeil à leur confrère de Compton) qui cristallisait ce rapport, en musique et sans demi-mesure. On peut aussi remonter un peu en arrière avec NTM, le duo que forment Kool Shen et JoeyStarr est à l’époque la quintessence du rap hardcore, contestataire et clairement anti-système. La formation sera de ce fait régulièrement suivie par les polémiques et la controverse. Leur morceau « Police » issu de leur second album J’appuie sur la gâchette sort en 1993.
« Seulement dans les quartiers, les condés de l’abus de pouvoir ont trop abusé », déclare Kool Shen avant de poursuivre « Alors pas de respect, pas de pitié escomptée, vous aurez des regrets car, jamais par la répression vous n’obtiendrez la paix, la paix »
Le refrain lui est tout aussi révélateur.
« Police machine matrice d’écervelés, Mandatée par la justice sur laquelle je pisse » déclare les MC dans le refrain. Cette même année, ils seront entendu par le commissariat du 13ème arrondissement de Paris dans une enquête concernant ce titre. Elle sera finalement classée sans suite.
On peut aussi évoquer Lunatic qui n’est pas timide pour parler de leur aversion pour l’uniforme, comme on peut le comprendre dans le morceau HLM 3 (Mauvais Oeil, 2000) ou Ali déclare dans le premier couplet « J’te rappelle juste qu’j’aime pas les flics ». On peut aussi citer le morceau « Civilisé » ou Booba affirme « Moi j’ai le sourire comme à l’enterrement d’un flic ».
En 1999, le collectif 113 sortira l’album Princes de La Ville qui contient le titre « Face à la police ». Le morceau en plus du titre évoque ce rapport entre jeunes et policiers dès les premières lignes : « Tu connais la chanson, garçon, mauvais garçon, Noirs et arabes, actions puis arrestations, altercations, humiliation. On nous met la pression ».
Avant l’arrivée du rap dans le mainstream, la parole était donnée à ces rappeurs, souvent acerbes et critiques vis-à-vis « des bleus » dans leur morceau. Une vision qui tendra à être plus édulcorée ces dernières années au fur et mesure que le rap deviendra « tous publics ».
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On ne peut pas parler de rap conscient en France sans parler de Kery James, qui est un véritable porte-étendard du genre. Désormais dans la peau d’un vétéran, celui qui réalisa le film Banlieusard (co-réalisé avec Leïla Sy) sortait en 2001 son premier album, Si c’était à refaire. En 2016 sort son sixième album Mouhammad Alix, dans lequel figure le titre Racailles. Dans le morceau il lance :
« Le dialogue social gît dans un cercueil, Les keufs tirent aux flashballs, tu peux y perdre un œil, Racailles ! Vous faites monter le sentiment anti-policier. Usez de la police comme d’une armée privatisée»
Malgré sa figure de pacificateur, Kery James n’en est pas plus critique et incisif sur son environnement et sur le comportement de la police.
La liste de références aux violences policières dans les textes de rap est évidemment bien plus longue. La majorité des rappeurs vient de quartiers souvent défavorisés, là où la répression policière est la plus flagrante et violente, que ce soit aux États-Unis ou en France. Ce genre musical comme d’autres avant lui est un reflet des préoccupations et du climat social d’une époque à un instant T. On peut citer en exemple les élucubrations nihilistes du groupe punk britannique The Sex Pistols et le morceau God Save The Queen sorti en 1977, lui aussi sujet à controverse, avec sa pochette mythique et ses paroles qui conduiront la BBC à retirer le morceau de ses ondes .
Le rap ne porte pas la contestation dans son essence, malgré ce qu’on peut en penser, toutefois, les deux sont très étroitement liés; les rappeurs sont devenus reporters des différentes exactions commises par les forces de l’ordre. Ils ne ratent jamais une occasion de rappeler.
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