Tuerie, membre du label Foufoune Palace, nous dévoile son premier EP très personnel. Gospel, soul, variété, les sonorités diverses servent un storytelling éclairé. Entre ombre et lumière, le natif de Boulogne-Billancourt, offre à la scène rap Fr 8 tracks cohérentes et qualitatives.
À l’occasion de la sortie de son 1er EP « Blue Gospel », nous avons rencontré Tuerie lors d’une interview chez Universal Music. Au programme : la découverte d’un artiste spirituel et attentif, qui partage paisiblement les histoires de sa vie avec sagesse et bienveillance.
En quelques mots, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Je suis un artiste, parolier, chanteur, rappeur au sein du label Foufoune Palace, qui est d’ailleurs plus une bande de potes qu’un label. Je suis arrivé très naturellement dans le milieu de la musique. Depuis tout petit, j’écoute avec ma mère du jazz, Michael Jackson, Prince, Biggie, Tupac. J’ai toujours transpiré la musique.
Pour ce qui est du label Foufoune Palace, nous nous considérons comme des frères. Avec Luidji, c’est une amitié de plus de 10 ans. Très jeune j’évoluais au sein d’un live band avec lequel je faisais énormément de scène. Puis un jour un gars du live band (*Chris, lui aussi membre du label Foufoune Palace) me dit “Eh il y a un mec qui habite juste à côté de chez nous, c’est incroyable ce qu’il envoie. Vous avez la même énergie.” Je lui dit « Ok ramène le« . Il le ramène à une répet’ et là ça match immédiatement. Cet artiste c’était Luidji, et depuis on ne s’est jamais lâchés.
En parcourant les réseaux sociaux, il existait une certaine attente chez les auditeurs de Foufoune Palace. Tu ressentais une certaine pression avant la sortie de ton EP ?
Si je dis non je mentirai. Effectivement, il y avait une pression avant la sortie. Il faut remettre mon EP dans le contexte du label. “Tristesse Business” et « Boscolo Exedra” sont deux projets extrêmement qualitatifs étiquetés Foufoune Palace. Les auditeurs se sont dit “Ok Foufoune Palace c’est en quelque sorte une Appellation d’Origine Contrôlé, c’est un gage de qualité. Le type du label qui sort un projet, va nous offrir un travail de qualité« . Si tu arrives avec des morceaux éclatés c’est chaud [rires]. Donc oui, j’avais la pression, mais je savais avec quoi je débarquais. Je ne venais pas tout nu, j’avais mes balles.
Hormis la présence de Léonie Barbot et Gregory Dajardin, ton E.P est très personnel et sans featuring. C’est un choix ?
Mon EP est trop personnel pour y faire poser d’autres artistes. Au même titre que Luidji lorsqu’il sort “Tristesse Business” et qui déclare : “0 feat ça me permet d’aller vite”.
Mais bien évidemment, il y a des artistes avec qui je rêve de collaborer. Mon goal niveau featuring c’est James Blake. Je suis fou amoureux de sa musique. J’aimerais aussi chanter avec Rosalia, Lana del Rey ou Billie Eilish. J’aime ces enfants indigo qui ont du talent à revendre et possèdent leur propre patte. Puis au-delà de l’étranger, j’aimerais re-collaborer avec Luidji, je pense que c’est essentiel. Je suis fan des gens qui exposent leur flanc. Je ferais bien un featuring avec Disiz. J’aime beaucoup ce qu’il propose. Il expose ses faiblesses, ses galères, ses conneries. C’est comme ça que j’envisage la musique.
Que signifie le titre de ton EP “Bleu Gospel” ?
Le gospel est la forme de musique la plus pure que je connaisse. Tu n’as pas le droit de mentir. C’est le leitmotiv de ce projet. J’arrive sans mentir. Lorsque tu ne mens pas, les gens le sentent. Il y a aussi cette couleur bleue qui revient tout au long de l’EP. Elle renvoie à l’accalmie, la sagesse. Puis c’est mon premier EP, et on parle d’un bleu lorsque c’est sa première. Je devais m’ouvrir au public, imposer ma personnalité, je suis donc arrivé avec ma couleur.
Justement, concernant Luidji, il avait affirmé en interview pour Clique qu’il était plutôt “rouge”. C’est ça Foufoune Palace, des artistes qui se complètent ?
Effectivement, on se complète totalement. Tu peux ressentir une homogénéité, mais en même temps nos différences de par nos histoires tout comme notre manière d’aborder les morceaux. Le bleu est une autre couleur qui finalement fait partie d’une même palette intitulée « Foufoune Palace ».
Dans le teaser de ton EP diffusé sur tes réseaux sociaux tu te demandes si tu as “peur du vide ou peur du rien ? Alors, quelle est la réponse ?
On parle d’avoir « une peur bleue » et la base de cet EP c’est la peur. Toute ma vie on m’a répété « Tuerie tu es talentueux, tu es le meilleur dans ce que tu fais. » Cela peut paraître hautain, mais j’ai toujours eu peur d’être fort, peur d’assumer un certain statut, peur du vide avant de m’élancer, peur de vivre. Cet EP raconte comment j’ai surmonté beaucoup d’épreuves et de peurs, comment j’ai dit fuck à mes peurs afin de les utiliser à bon escient.
« Ma musique est totalement thérapeutique »
Les 8 titres de ton EP sont ancrés dans la réalité, une réalité difficile. La musique te sert à relater la réalité ou bien c’est aussi un moyen d’évasion ?
Ma musique est totalement thérapeutique. Un titre comme “Tiroir Bleu”, c’est un médicament.
Après avoir enregistré ce morceau, je ne pouvais plus bouger pendant une semaine. J’étais comme atrophié. Je ne pouvais pas aller taffer, aller en studio, mettre un pied par terre. Je ne pouvais rien faire. Ce projet est introspectif tout en étant teinté de burlesque et de rêve.
Certains aspects sont tout droit tirés des films de Tim Burton. Grâce au travail de Steven Norel et aux très talentueux Kedyi et Ryan Koffi, l’EP s’attache à la réalité tout en prenant une dimension spectaculaire et imagée.
Le thème de l’enfance revient régulièrement sur l’EP. C’était quoi ton rêve de gosse ?
Depuis tout petit, je rêvais de garder certains principes dont la loyauté. C’est très important pour moi de pouvoir évoluer avec le même groupe d’amis. Je suis arrivé avec une équipe et depuis toutes ses années ça n’a pas bougé. C’est un réel accomplissement. Puis j’ai réussi à être leader par l’exemplarité. J’ai défendu mon rêve jusqu’au bout. Evidemment, ça a mis du temps mais j’y suis arrivé. J’espère que ça inspirera certaines personnes.
Ta mère traverse l’ensemble de l’EP tel un totem. Quelle influence a- t-elle eu dans ta musique ?
C’est ma fondation. C’est ma mère qui m’a fait écouter mes premières titres, que ce soit de la variété, du hip-hop ou de la soul. Elle est celle à qui je dois cet aspect éclectique dans ma musique, ce côté expérimental. Elle a essayé de faire sauter les verrous très tôt.
J’ai compris tard qu’il ne fallait pas que je me cantonne à un seul genre et que je m’ouvre. Ma mère a été la première clé vers ma liberté artistique. Je la respecte de part son vécu, son combat. Je lui rendrai hommage jusqu’à ce que j’arrête de faire de la musique.
Des influences gospel parcourent tous l’EP. Qu’est ce que représente ce pan de la culture afro-américaine pour toi ?
Je ne suis pas religieux, mais j’ai ce côté spirituel. Si le gospel est présent sur l’EP c’est parce qu’on y ment jamais. C’est censé être immaculé, pur.
C’est la première fois que je dis autant la vérité. À aucun moment je ne mens dans “Bleu Gospel”. J’ai réellement fait parler mon cœur, mon âme. Dire la vérité ce n’est jamais facile. C’est exposer son flanc, marcher nu dans la rue, mais ça fait du bien. Je montre mes forces, mes faiblesses et ce à quoi j’aspire. Si je continue à raconter mes histoires, ça peut potentiellement aider de plus en plus de monde. Les gens vont me le rendre et ça peut les aider à passer certains cap. Dire la vérité c’est un devoir.
D’autres influences, notamment issue de la “variétés française” sont présentes, comme dans la seconde partie chantée du son “Le givre et le vent”. Tu penses que le rap est la nouvelle “variété française” ?
Charles Aznavour le disait déjà et c’est ce qui explique sa longévité dans le game. Il n’a jamais été contre nous, n’a jamais nagé à contre courant. Il a toujours épousé le rap en approuvant nos schémas de rimes et nos façons de penser. Dans Le givre et le vent, il y a quelque chose de Gainsbourg, de Brel.
J’aime la variété et ça fait partie de mes influences. Nous ne sommes pas si différents. Le but de notre musique est le même. Une fois qu’une personne appuie sur le bouton play il veut sortir de son quotidien métro boulot dodo. Le rap est peut-être la nouvelle variété française, je ne sais pas, mais en tout cas j’aime ne pas faire le distingo.
D’ailleurs la track Le givre et le vent est construite en deux parties, comme beaucoup de morceaux du projet. Cette dualité signifie-t-elle quelque chose de particulier ?
Je déteste m’ennuyer. En me mettant à la place de l’auditeur je me dis que je n’ai pas le droit de l’ennuyer. L’auditeur écoute pour sortir de sa rengaine quotidienne. En tant qu’artiste tu n’as pas le droit de l’emmener vers des sons redondants. À ce moment-là, moi Tuerie, j’incarne une attraction type “Parc Astérix”. C’est ça la musique que j’aime. C’est presque alternatif. Sans vouloir m’enfermer dans une case, je fais de la musique selon ma volonté. Si j’ai envie de rapper je rappe, si j’ai envie de chanter je chante. Si j’ai envie de changer trois fois d’instrumentales dans le même morceau, je change.
« Des adultes forts, font des enfants forts »
Ton EP termine dans la lumière puisque tu déclares dans Bouquet de peur “aujourd’hui je n’ai plus peur du noir”. On peut dire que “petit Tuerie” est devenu “grand Tuerie” ?
Oui carrément, c’est exactement ça. J’ai exposé ses faiblesses pour finir plus fort. Puis aujourd’hui j’ai un vrai “petit Tuerie ». J’ai un enfant et je me dois d’être encore une fois leader par l’exemplarité. Médine disait “des adultes forts, font des enfants forts”. Je ne m’autorise plus à être aussi fébrile qu’avant. Je veux être fort pour que mon enfant soit fort dans ce monde carnassier. Mais attention, je veux qu’il ait une personnalité nuancée, que ce soit un homme fort mais sensible.
Comment se dessine la suite de ta carrière ? Est-ce que cet EP est le prélude de la suite ?
Il n’y aura pas de vacances. J’en ai pris toute ma vie et j’ai assez foutu la merde. Il est temps de bosser. Je travaille déjà sur une autre teinte musicale plus orchestrale. Je veux pousser le délire encore plus loin.
J’aimerais rapprocher ma musique d’instruments tels que le violon et développer des instrus qui prennent aux tripes. Je suis un grand fan de Yoann Lemoine (Woodkid) qui a ce truc gigantesque, très orchestral. Je veux que ma musique prenne une autre dimension.
Ton moment à 33° ?
Avec Luidji on a énormément baroudé. Un soir, lors d’un tremplin, le speaker annonce mon nom pour me lancer sur scène. Mais juste avant que je n’y pose le pied, on entend une femme qui dit “mais c’est quoi encore ce nom de merde”. Je me suis dit « Okay, elle se permet de me dire ça. On est peut-être dans une petite salle, mais là elle va se sentir comme au stade de France. Je vais faire ce concert pour elle. » J’ai alors donné le meilleur de moi-même. Au final, elle s’est excusée et c’était un vrai moment à 33°. Je suis plus fort lorsque le sort s’acharne, quand je suis acculé. Toute ma vie je garderai cette personnalité revancharde.
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[…] réalité, ce qu’il y a de plus gospel dans ce projet est dans son appellation. Bleu Gospel transpire autant le soul que le blues. Je trouve qu’en fin de compte c’est du negro spiritual […]