Il a sorti le 17 mars dernier son premier album studio en tant que rappeur. Prinzly, artiste reconnu à l’échelle internationale, a décidé de changer de cape. Prêt à revêtir sa nouvelle tenue, la voix du belge se dévoile aux oreilles du grand public pour la première fois. Une invitation au voyage tout aussi surprenante que risquée. Portrait d’un explorateur.
De beatmaker à rappeur. Voilà un changement régulièrement opéré sur la scène artistique outre-atlantique, mais encore peu fréquent du côté francophone. À l’inverse, dernièrement de nombreux rappeurs se sont mis en tête de réaliser eux-mêmes leurs compositions. Rare, la transition du beatmaking à l’interprétation laisse pourtant souvent place à de belles découvertes. Prinzly en est une.
Le vendredi 17 mars, celui que le public à découvert à travers ses productions, a choisi d’initier un nouvel arc à sa carrière. Derrière ses lunettes teintées se cache l’âme d’un rappeur qui sommeillait depuis trop longtemps. Réveil d’un MC qui prend son envol à bord de Passager (((8))).
N.B : Lors d’un entretien effectué le 13 novembre 2022 dernier à l’occasion de la sortie des deux premières parties de son album Passager (((8))), Prinzly est revenu dans une interview pour Trente Trois Degrés sur ses motivations et la création de cet album.
« Tant qu’j’ai l’souffle tous les matins. J’préfère crever que pas essayer hein. Actions plutôt que rêves éveillés hein » – Monde, Prinzly
Premiers échos d’interprète annihilés
La Belgique, terre de succès. Lorsque l’on évoque les trajectoires de nombreux artistes issus du vivier bruxellois et de ses alentours cette affirmation prend tout son sens . De Shay à Green Montana, en passant par Damso, Caballero & Jeanjass ou encore Hamza, le rap belge fait figure de référence. Une génération dorée qui ne s’arrête pas aux seules têtes d’affiches. Prinzly étant l’un des éminents symboles de ces talents nichés dans l’ombre.
Dès sa jeunesse, le jeune homme se lie d’amour pour la musique. Né d’une famille congolaise, la vie du jeune Kevin Prince Bwana est rythmée au gré des CD présents dans son salon. Des airs de rumba congolaise à la pop de Michael Jackson, Prinzly affine son ouïe à travers l’héritage musical familial. À cette même époque, il met le doigt sur quelques-uns des grands groupes du Rap fr, parmi lesquels Lunatic et NTM. Tout n’est pourtant pas tracé pour le natif de Bruxelles. S’il commence alors à enchaîner les rimes avec son pote Rudy, il peine à s’identifier à l’identité du rap français de l’époque. Déjà en quête d’innovation, il rejoint alors les rangs du groupe GoldenBoys et commence à se faire un nom au sein de la scène bruxelloise.
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Seulement, « tout a été trop vite » pour le jeune rappeur. S’il continue de gratter des textes, Prinzly produit aussi ses morceaux. Après une prise de contact fructueuse, le voilà qui rejoint le collectif “Street Fabulous”. À la fin des années 2000, le belge place officiellement ses premières compositions dans le rap. S’ensuit une carrière de beatmaking plus qu’aboutie. QALF, Paradise, L’Amour, Prinzly enchaîne les disques et les pare d’or, de platine ou de diamant. En attendant, quelque chose manque à sa carrière. Crise de la quarantaine en avance ? Non, Prinzly n’aime pas la facilité et souhaite prouver qu’il sait aussi rapper. Repartir de zéro après avoir tant prouvé n’est pas chose aisée. C’est tout le défi du voyage initié avec son premier album Passager (((8))). En finir avec cette démangeaison qui le rongeait depuis trop longtemps. Comme un retour à son premier amour, le moment est venu. Action, décollage.
Contre-pied maîtrisé
Avant d’apparaître sous une nouvelle identité, Prinzly a longuement travaillé afin de retrouver ses marques. Le voilà dans la cage pour un premier round sur-mesure : parvenir à un niveau de rap homogène afin de rivaliser avec la qualité de ses productions. Une fois le challenge réussi, le belge entre une seconde fois sur le ring et doit tenter de réaliser un projet dans l’ère du temps. Victoire par K.O. Malgré le fait que Prinzly ait débuté les rimes près d’une quinzaine d’années auparavant, Passager (((8))) n’apparaît à aucun moment anachronique.
Il faut dire que le moment était bienvenu. Alors qu’un vent nouveau souffle sur les ondes du rap français, les teintes électro-futuristes apportées par Prinzly font sens. Et si celles-ci trouvent leur écho, c’est avant tout parce que le belge se nourrit d’inspirations désormais reconnues. L’oeil souvent tourné vers la côte outre-atlantique, le bruxellois assume mieux que quiconque sur la scène francophone son nouveau statut. De fait, quel meilleur modèle que celui de Kanye West afin d’appréhender la transition de producteur à rappeur. Il y a près de 20 ans, alors que la Gangsta Rap domine l’industrie, Ye prend de court les auditeurs et débarque avec un premier projet aux ambiances pop/soul (The college Dropout, 2004). Un marqueur temporel important dans l’histoire du Hip-Hop. En interview, Prinzly confiera que Kanye West demeure à ce jour l’une de ces principales inspirations. D’autres artistes US inspireront également sa carrière, dont Timbaland et Pharrell. Ces derniers ayant eux aussi participé à l’éclosion d’autres artistes.
Prinzly, avant-gardiste ? Il est trop tôt pour le dire, toutefois dans une industrie musicale souvent cloisonnée, Prinzly pourrait incarner en France et en Belgique cette image du producteur ayant réussi à sortir des cases préétablies pour devenir rappeur.
« Y a qu’la misère pour tous dans ce monde de fous. Soit j’suis debout, soit j’suis couché, y’ a qu’devant Dieu qu’on plie les genoux. » – Flou, Prinzly
Prendre la lumière
Comme un air de revanche. C’est en tout cas ce qui ressort clairement des textes de Prinzly sur ce premier opus. L’un des premiers morceaux, « Flou », laisse s’exprimer un rappeur impertinent qui ne compte que sur lui-même. D’une “enfance sacrifiée” à une “vie d’adulte prématurée”, le belge rappelle à tous sa détermination, restée immuable malgré une vie marquée par la misère. Destiné à prendre la lumière, Prinzly a pourtant dû essuyer de longues périodes marquées par le doute. Il en ressort des morceaux empreints de sincérité. L’univers peint par Passager (((8))) revêt ainsi au fil de l’écoute une enveloppe bleue. Une coloration qui n’est pas sans rappeler l’aura science-fictionnelle de cet album. À Prinzly alors d’agrémenter son projet de nombreuses références, parmi lesquelles Alien de Ridley Scott, Interstellar de Christopher Nolan ou E.T. de Steven Spielberg. Sous cette carapace d’apparence métallique, le rappeur prend plaisir à user de ces repères générationnels de la pop culture pour élaborer un projet authentique, à son image.
Et alors que Passager (((8))) est une invitation au voyage, il n’en demeure pas moins enraciné dans le réel. “Je reste un être humain. J’aimerais être là-haut mais je suis avec vous, et je vis les mêmes réalités que tout le monde. Je n’oublie pas que ma musique doit d’abord toucher le public. Il ne faut pas que je sois trop détaché afin que les gens puissent se reconnaître dans ma musique.” [interview du 13 novembre 2022, réalisée à l’occasion de l’acte 2].
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Car si Prinzly se fond dans l’obscurité du ciel pour y trouver une forme d’apaisement, son premier album n’en demeure pas moins lumineux. Loin d’être radicale, l’ambition de ce premier projet est nuancée et homogène. L’aspect digital, par instants froid, de Passager (((8))) se mêle à des occurrences plus claires comme sur “Compact” (feat. Tiakola) ou “Supersonic” (feat. Disiz). Une lueur tout en nuance donc, et qui dresse un tableau contrasté du monde peint par Prinzly, entre rêve et désillusions.
Une chose est sûre, Passager (((8))) est un nouvel accomplissement dans la carrière de Prinzly. Probablement le plus important. Comme un symbole, Prinzly sort de la case “beatmaker”, dans laquelle il était enfermé depuis ses débuts. Pour entrer dans une autre ? Pas vraiment. Le monde imaginé par Prinzly semble bien trop grand et étendu pour que l’on veuille y mettre des murs. Au dernier morceau “Terra” d’entretenir un nouveau mystère. 17ème track de l’album, celui-ci est anormalement numéroté “3”. La moitié d’un 8 en somme. Une anomalie qui n’en serait pas vraiment une, tant Prinzly semble encore avoir des choses à nous dire. On se revoit pour le prochain envol.