Longtemps dénigré, le rap français impose dorénavant son hégémonie marketing et médiatique.
18 ans de carrière solo, 9 albums solo, des classiques à n’en plus finir, c’est comme ça qu’Eli Yaffa alias Booba marque l’histoire du rap français et de son lien au marketing. Le Panthéon du rap français lui est destiné tant le natif des Hauts de Seine a marqué son époque.
«Intemporel», c’est l’adjectif que Puma a utilisé pour le qualifier, au sein d’une vidéo (très bien pensée) officialisant la signature de Booba en tant qu’égérie de la marque allemande. Pourtant l’adjectif « intemporel » ne peut être utilisé pour décrire la relation entre la mode et le rap français. Il est loin le temps où les marques fuyaient une quelconque affiliation avec les poètes des banlieues françaises. Décryptage d’un phénomène social, médiatique et commercial.
L’arrivée du rap en France
Le début des années 80, est synonyme de révolution culturelle en France. De fait Sugar Hill Gang sort Rappers Delight en 1979. Le morceau, est cité comme celui du déclic par certains rappeurs à l’image d’Akhenaton, et envahit les ondes, via les radios pirates à l’instar de Radio Nova qui va jouer un rôle fondamental dans la médiatisation du rap français et donne ainsi naissance à sa valeur marketing. En 1984, l’émission H.I.P. H.O.P arrive sur TF1, présenté par Sidney, elle n’est alors diffusée que pendant un an mais va permettre au rap américain de s’exporter vers la France, et à la culture Hip-Hop de toucher un nombre considérable de foyers en raison de la tranche horaire de diffusion (le dimanche avant Starsky & Hutch).
Parallèlement le contexte social en France est difficile, avec un chômage de masse, une montée du Front National et une politique économique nationale en pleine mutation, marquée par le Tournant de la Rigueur. La culture hip-hop se développe en France avec l’émergence du graffiti, mais la danse prédomine avec le smurf (l’ancêtre du break dance), pratiqué par des jeunes cherchant un moyen de s’exprimer à travers des sonorités nouvelles.
Deux de ces jeunes se nomment respectivement Didier Morville et Bruno Lopes. Originaire du 93 ils vont, en 1988, devenir JoeyStarr et Kool Shen pour former NTM. Dans un même temps, c’est à Marseille que se forme IAM avec Akhenaton et Shurik’n. Le style des deux groupes diffère mais le fond est le même : le rap est l’expression d’une jeunesse des banlieues française, délaissée par le système, décriée par les médias et stigmatisée à des fins politiques. Le rap devient le miroir social des banlieues, et entame une ascension médiatique et commerciale malgré un traitement médiatique et politique des plus dénigrant qui soit.
Mutation sociale
Le rap a connu une période que certains qualifieront « d’âge d’or » entre les années 90 et le milieu des années 2000. Avec l’apparition de différents collectifs tels que Time Bomb ou La Mafia K’1 Fry, par exemple. Et ça en parallèle des rappeurs solos qui ont éclot et ont confirmé leur succès à l’image de Booba et de Rohff. Cependant le rap français s’essouffle, devient presque cliché. L’influence américaine devient pesante et peine à trouver son public, essoufflement illustré par 0.9 de Booba. Si l’autotune fait son apparition sur cet album, le succès critique n’est pas au rendez-vous.
Le rap français doit se renouveler, doit explorer de nouvelles sonorités, afin de rassasier un public nourri aux classiques de rap français d’Arsenik, d’Oxmo Puccino, de Booba, de Rohff etc… Socialement on assiste à la naissance des premiers réseaux sociaux. À l’image de MySpace, ils abolissent les frontières géographiques, en connectant les gens entre eux et en permettant à n’importe quel artiste d’accroître sa visibilité. Le rap, reflet de la société, va puiser son renouveau dans cette transformation sociale et technique.
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La Normandie est le point de départ de ce renouveau, avec Orelsan comme nouveau visage. Le caennais va défrayer la chronique à cause du morceau Sale Pute. C’est avec son talent, ses punchlines et son écriture que le normand impose son univers au rap français. Si beaucoup voyaient Orelsan comme un ovni, il est en réalité la figure de proue de la mutation sociale du rap.
Être blanc n’était pas vraiment nouveau dans le rap francophone (Rockin Squat, Seth Gueko, Sinik), mais l’univers musical du rappeur l’est. Au fil des années les barrières sociales et géographiques du rap sont tombées, permettant l’essor de nombreux talents avec des univers et des musicalités parfois éloignés de la genèse du rap français. Ce même essor va permettre de toucher un public beaucoup plus large et va donc permettre au rap de retrouver un second souffle commercial.
Le rap comme nouvelle arme marketing
La démocratisation du rap entretient une forte corrélation avec le succès commercial de ce dernier. Que ce soit en radio, sur les plateformes de streaming et sur les plateformes de contenus vidéos, le rap a imposé son hégémonie. Les rappeurs sont devenus des nouveaux leaders d’opinions et les réseaux sociaux permettent des échanges transparents et des interactions nouvelles avec les fans. L’enjeu communicationnel et commercial est énorme et certaines marques l’ont très bien compris.
En 1998, Ärsenik sort son premier album studio Quelques Gouttes Suffisent, classique du rap français. L’album fera parler de lui pour sa cover, avec Lino et Calbo arborant tous deux un haut Lacoste. La marque française deviendra prisée aussi bien par les banlieues que par les rappeurs, l’ensemble de survêtement croco devenant même une institution vestimentaire, le but étant d’avoir le plus de pièces Lacoste possible. La marque de René Lacoste devient alors le parfait patron du regard de l’industrie textile sur le rap et les banlieues.
De fait, la marque a longtemps œuvré pour se détacher de son image liée aux banlieues, par peur de voir sa clientèle orientée BCBG fuir. Mais 20 ans après l’album d’Arsenik, le rap et Lacoste font parler d’eux avec l’officialisation d’une collaboration avec Moha La Squale (qui a pris fin après les accusations dont le rappeur fait l’objet).
Du côté de la sneaker, c’est une véritable chasse au trésor entre les différents poids lourds de l’industrie. Si Nike avait de l’avance en 2009 en collaborant avec Booba pour une paire d’Air Force 1 Low, c’est en 2020 que Puma frappe un grand coup marketing en signant le Duc de Boulogne (qui rejoint Shay, PLK, MHD et Alonzo). Toujours en Allemagne, c’est Adidas qui s’impose comme un rival important. La marque aux trois bandes compte dans ses rangs Vald, 13 Block, Dinos, Chilla et Sally et n’hésite pas à mettre en avant ce vivier lors de lancement de collection (13 Block pour la campagne Home of Classics ou Vald pour le lancement de la Zx 2K Boost).
Mais là où Adidas et sa stratégie marketing frappent fort, c’est en apparaissant, tout au long de la série consacrée au rap français Validé, réalisée par Frank Gastambide. Un connaisseur du milieu pour avoir fait partie de l’équipe de tournage de Pour Ceux, qui reste à ce jour l’un des plus grands clips (si ce n’est le plus grand) de rap français. Succès commercial, la série est officiellement reconduite par Canal + pour une deuxième saison. Juste au cas où certains douterait de l’ascension médiatique et commerciale du rap.
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